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s. m. Hourt, hour, ourdeys, gourt.
Échafaud fermé de planches; appliqué à l'architecture militaire, est un
ouvrage en bois, dressé au sommet des courtines ou des tours, destiné à
recevoir des défenseurs, surplombant le pied de la maçonnerie et
donnant un flanquement plus étendu, une saillie très-favorable à la
défense. Nous avons expliqué, dans l'article Architecture Militaire
(voy. fig. 14, 15, 16 et 32), les moyens de construction et l'utilité
des hourds; toutefois l'objet prend une si grande importance dans l'art
de la défense des places du XIe au XIVe siècle, que nous devons entrer dans des développements.
Il y a tout lieu de croire que, dès l'époque romaine, les hourds étaient en usage, car il est question, dans les Commentaires de César, d'ouvrages en bois qui sont de véritables hourds. Nous en avons donné un exemple à l'article Fossé,
fig. 1. Dans l'ouvrage en bois qui couronnait les fossés du camp de
César devant les Bellovaques, les galeries réunissant les tours sont
des hourds continus protégeant un parapet inférieur1.
La nécessité pour les défenseurs de commander le pied des remparts,
d'enfiler les fossés et de se mettre à l'abri des projectiles lancés
par les assiégeants, dut faire adopter les hourds dès l'époque
gallo-romaine. Les crénelages supérieurs ne pouvaient, en cas de siège,
présenter une défense efficace, puisque en tirant, les archers ou
arbalétriers étaient obligés de se découvrir. Si l'assiégeant se
logeait au pied même des murs, il devenait de toute impossibilité aux
assiégés non-seulement de lui décocher des traits, mais même de le
voir, sans passer la moitié du corps en dehors des créneaux. À la fin
du XIe siècle déjà et au commencement du XIIe, nous remarquons, au sommet des tours et remparts, des trous de hourds percés au niveau des chemins de ronde2.
Souvent alors ces trous sont doubles, de manière à permettre de poser,
sous la solive en bascule, un lien destiné à soulager sa portée.
Les merlons des tours et courtines du château de Carcassonne (1100 environ) sont hauts (1m,60 à 1m,80);
les trous de hourds sont espacés régulièrement, autant que le permet la
courbe des tours ou les dispositions intérieures; sous leurs
pieds-droits sont percés, tout à travers, quatre trous: deux un peu
au-dessous de l'appui des créneaux, deux au niveau du chemin de ronde.
Du chemin de ronde (1), les charpentiers faisaient couler par le trou
inférieur une première pièce A, puis une seconde pièce B, fortement en
bascule. L'ouvrier passant par le créneau se mettait à cheval sur cette
seconde pièce B, ainsi que l'indique le détail perspectif B', puis
faisait entrer le lien C dans son embrèvement. La tête de ce lien était
réunie à la pièce B par une cheville; un potelet D, entré de force par
derrière, roidissait tout le système. Là-dessus, posant des
plats-bords, il était facile de monter les doubles poteaux E, entre
lesquels on glissait les madriers servant de garde antérieure, puis on
assujettissait la toiture qui couvrait le hourdis et le chemin de
ronde, afin de mettre les défenseurs à l'abri des projectiles lancés à
toute volée. Des entailles G ménagées entre les madriers de face
permettaient de viser. Ainsi des arbalétriers postés sur les hourds
pouvaient envoyer des projectiles par des meurtrières multipliées et
jeter des pierres par le mâchicoulis K sur les assaillants. Du chemin
de ronde, d'autres arbalétriers ou archers avaient encore les
meurtrières à demeure L, par lesquelles, au-dessous des hourds, ils
envoyaient des traits aux assiégeants. La communication du chemin de
ronde avec le hourd s'établissait de plain-pied par les crénelages,
dont les merlons sont assez élevés pour permettre à un homme de passer.
La couverture était faite de forts madriers sur lesquels on posait de
la grande ardoise ou de la tuile, et si on craignait l'envoi de
projectiles incendiaires, des peaux fraîches, de grosses étoffes de
laine, du fumier ou du gazon. Ce blindage était fait au sommet des
courtines et tours de toute place forte destinée à subir un siège en
règle, le crénelage en maçonnerie ne servant qu'en temps de paix et
pour la garde ordinaire. Par le fait, les créneaux étaient autant de
portes qui mettaient les hourds en communication avec le chemin de
ronde sur un grand nombre de points; et si le hourdage venait à brûler
ou à être détruit par les pierriers de l'assiégeant, il restait encore
debout une défense de maçonnerie offrant une dernière protection aux
soldats qui garnissaient les remparts.
Ces sortes de hourds n'étaient pas
généralement posés à demeure, mais seulement en temps de guerre. En
temps de paix, ces charpentes étaient facilement démontées et rangées à
couvert dans les tours et dans les nombreux réduits disposés le long
des remparts, à l'intérieur. Aussi, pour faciliter la pose et pour
éviter de numéroter les pièces, de les classer et de les chercher, les
trous de hourds sont percés à des distances égales, sauf dans certains
cas exceptionnels, de sorte que tous les madriers de garde, formant
parement, coupés de longueur, glissaient indifféremment entre les
montants doubles assemblés à l'extrémité des solives en bascule. On
comprend dès lors comment la pose des hourds pouvait être rapidement
exécutée. En effet, les montants doubles de face posés (2), et dont la
section est tracée en A, le charpentier n'avait qu'à laisser couler
entre eux les madriers de garde, ainsi qu'on le voit en B. Si des
pierres d'un fort volume, lancées par les machines de l'assiégeant,
avaient rompu quelques madriers, on pouvait de même les remplacer
promptement et facilement du dedans des hourds pendant la nuit, sans
avoir besoin ni de clous ni de chevilles.
Cependant, quelquefois, les hourds étaient à demeure, particulièrement au sommet des tours; alors on les hourdait en maçonnerie comme des pans de bois, ou on les couvrait d'ardoises. Il existe encore, dans le château de Laval, une tour du XIIe siècle qui a conservé un hourdage supérieur dont la construction paraît remonter au XIIIe
siècle. Ce hourdage fait partie du comble et se combine avec lui (3).
C'est un bel ouvrage de charpenterie exécuté en beau et fort bois de
chêne. Suivant l'usage de cette époque, chaque chevron de la charpente
est armé, porte ferme et repose sur les blochets A (voy. la coupe C),
lesquels sont portés sur la tête des poteaux de face D recevant une
sablière S, et maintenus par les grandes contre-fiches intérieures
moisées E. Ces contre-fiches viennent en outre soulager ces chevrons
vers le premier tiers de leur longueur. Sous chaque poteau de face et
sous chaque contre-fiche est posé un patin P qui forme bascule et
mâchicoulis. En G, on voit le système du hourdage de face, lequel est
voligé et couvert d'ardoises comme le comble lui-même. De distance en
distance, de petites ouvertures sont percées dans le hourdage pour
permettre de tirer. L'enrayure basse est maintenue par des entraits
comme dans toutes les charpentes de combles coniques. Nous reviendrons
tout à l'heure sur ces hourds à demeure, très-fréquents dans les
constructions militaires du XVe siècle qui ne sont point couronnées par des mâchicoulis avec murs de garde en pierre de taille.
Pendant le XIIIe siècle, on simplifia encore le système
des hourdages en charpente au sommet des remparts. On renonça aux trous
doubles, on se contenta d'un seul rang de larges trous carrés (0,30 c.
x 0,30 c. environ) percés au niveau des chemins de ronde; et, en effet,
une pièce de bois de chêne de 0,30 c. d'équarrissage, fût-elle de trois
mètres en bascule, peut porter un poids énorme. Or les hourds avaient
rarement plus de 1m,95 c. de saillie (une toise). Il n'est
pas nécessaire de s'étendre ici sur ces hourds simples, dont nous avons
suffisamment indiqué la construction dans l'article Architecture Militaire, fig. 32. Mais souvent, au XIIIe siècle, il est question de hourds doubles, notamment dans l'Histoire de la croisade contre les Albigeois3.
À Toulouse, assiégée par le comte Simon de Montfort, les habitants augmentent sans cesse les défenses de la ville:
«E parec ben a lobra e als autres mestiers
Que de dins et de fora ac aitans del obriers
Que garniron la vila els portals els terriers
Els murs e las bertrescas els cadafales dobliers
Els fossatz e las lissas els pons els escaliers
E lains en Toloza ac aitans carpentiers.
...4»
Ailleurs, au siège de Beaucaire:
«Mas primier fassam mur ses *[?cans] e ses sablo
Ab los cadafales dobles et ab ferm bescalo5.»
Nous avons dû chercher sur les monuments mêmes la trace de ces hourds à deux étages. Or, à la cité de Carcassonne,
des deux côtés de la porte Narbonnaise, dont la construction remonte au
règne de Philippe le Hardi, nous avons pu reconnaître les dispositions
d'un de ces échafauds doubles, indiquées par la construction de merlons
très-puissants et taillés d'une manière toute particulière. Ces merlons
(4) sont appareillés en fruit sur le chemin de ronde, ainsi que
l'indique le profil A. Leur base est traversée au niveau du chemin de
ronde, par des trous de hourds de 0,30 c. de côté, régulièrement
espacés. Sur le parement du chemin de ronde du côté de la ville est une
retraite continue B. Les hourds doubles étaient donc disposés ainsi: de
cinq pieds en cinq pieds passaient par les trous de hourds les fortes
solives
C, sur l'extrémité desquelles, à l'extérieur, s'élevait le poteau
incliné D, avec des contre-poteaux E formant la rainure pour le passage
des madriers de garde. Des moises doubles J pinçaient ce poteau, se
reposaient sur la longrine F, mordaient les trois poteaux GHI, celui G
étant appuyé sur le parement incliné du merlon, et venaient saisir le
poteau postérieur K également incliné. Un second rang de moises, posé
en L, à 1m,80
du premier rang, formait l'enrayure des arbalétriers M du comble. En N,
un mâchicoulis était réservé le long du parement extérieur de la
courtine. Ce mâchicoulis était servi par des hommes placés en O, sur le
chemin de ronde, au droit de chaque créneau muni d'une ventrière P. Les
archers et arbalétriers du hourd inférieur étaient postés en R, et
n'avaient pas à se préoccuper de servir ce premier mâchicoulis. Le
second hourd possédait un mâchicoulis en S. Les approvisionnements de
projectiles se faisaient au dedans de la ville par les guindes T. Des
escaliers Q, disposés de distance en distance, mettaient les deux
hourds en communication. De cette manière, il était possible d'amasser
une quantité considérable de pierres en V, sans gêner la circulation
sur les chemins de ronde ni les arbalétriers. En X, on voit de face, à
l'extérieur, la charpente du hourdage dépourvue de ses madriers de
garde, et, en Y, cette charpente garnie. Par les meurtrières et
mâchicoulis, on pouvait lancer ainsi sur l'assaillant un nombre
prodigieux de projectiles. Comme toujours, les meurtrières U, à
demeure, percées dans les merlons, dégageaient au-dessous des hourds et
permettaient à un second rang d'arbalétriers postés entre les fermes,
sur le chemin de ronde, de viser l'ennemi. On conçoit que l'inclinaison
des madriers de garde était très-favorable au tir. Elle permettait, de
plus, de faire surplomber le second mâchicoulis S en dehors du hourdage
inférieur. La dépense que nécessitaient des charpentes aussi
considérables ne permettait guère de les établir que dans des
circonstances exceptionnelles, sur des points mal défendus par la
nature, et c'était précisément le cas des deux côtés de la porte
Narbonnaise, particulièrement pour la courtine du nord (voy. Porte ), sur l'étendue de laquelle, entre cette porte et la tour du Trésau, ce système a été appliqué.
Si les courtines étaient garnies de hourds, à plus forte raison le
sommet des tours devait-il être muni de cette défense nécessaire,
puisqu'on avait plus d'avantage à attaquer une tour qu'une courtine;
aussi les tours de la cité de Carcassonne
sont-elles toutes percées, au niveau de leur plancher supérieur, de
trous de hourds très-larges, bien dressés et également répartis sur la
circonférence. Mais ces tours étant couvertes par des charpentes, il
était indispensable de disposer celles-ci de telle sorte que l'on pût
poser les toitures des hourds sans gâter celles des tours. À cet effet,
on laissait au-dessus des corniches un espace vide entre les blochets,
pour passer les chevrons du hourd (5), qui étaient calés sur les
semelles du comble et arrêtés derrière les jambettes au moyen de clefs,
ainsi que l'indique le profil A. Le hourdage d'une tour ronde se
trouvait former un plan polygonal à plus ou moins de côtés, suivant que
la circonférence de la tour était plus ou moins étendue, car les trous
de hourds sont toujours, comme les créneaux et meurtrières, percés à
distances égales. Le mâchicoulis continu était ouvert soit le long du
parement de la tour, en B, soit le long des madriers de garde, en C,
suivant le lieu et l'occasion; voici pourquoi: les bases des tours
(comme celles des courtines) sont montées en talus, sauf de rares
exceptions. Le talus finissait ordinairement au niveau de la crête de
la contrescarpe du fossé. Si l'assaillant parvenait à combler le fossé,
il arrivait au sommet du talus, en G, comme l'indique le tracé M. Alors
le mâchicoulis percé en C ne battait pas verticalement les mineurs
attachés en G; il était donc nécessaire d'avoir un mâchicoulis, en B,
le long du parement même de la tour. Si, au contraire, le mineur
s'attachait à la base de la tour, au fond du fossé en F, il fallait
ouvrir un mâchicoulis en C, directement au-dessus de lui, car les
projectiles tombant par le mâchicoulis B, ricochant sur le talus,
devaient décrire une parabole ab par-dessus la tête des
mineurs. Mais si l'assaillant se présentait en masse à la base d'une
tour ou d'une courtine, garanti par une galerie roulante, une gate,
le projectile tombant verticalement du mâchicoulis B lui causait plus
de dommages en ricochant, car il pouvait entrer ainsi sous la gate. En P, nous donnons une vue perspective du sommet d'une tour de la fin du XIIIe siècle, faisant partie de l'enceinte de la cité de Carcassonne,
avec ses hourds posés et en partie recouverts de peaux fraîches, afin
d'éviter l'effet des projectiles incendiaires sur toutes les pièces
saillantes du hourdage.
Mais, dès la première moitié du XIIIe siècle, on avait
déjà cherché à parer, au moins en partie, aux dangers d'incendie que
présentaient ces hourds saillants posés sur des solives en bascule, et
contre lesquels les assaillants lançaient une quantité de barillets de
feux grégeois, de dards garnis d'étoupe, de résine ou de bitume
enflammés, toutes matières qui, par leur nature, pouvaient s'attacher
aux charpentes et produire un feu très-vif que l'eau ne pouvait
éteindre. Nous voyons déjà, au sommet des tours élevées à Coucy
par Enguerrand III de 1220 à 1230, des consoles en pierre destinées à
la pose des hourds de bois. La combinaison de ces hourds est
très-apparente et fort ingénieuse au sommet du donjon de Coucy (voy. Donjon,
fig. 39). Le pied des hourds de ce donjon célèbre, le plus grand de
tous ceux que possède l'Europe, est à 40 mètres au-dessus de la
contrescarpe du fossé. Et bien qu'à cette hauteur les assiégés
n'eussent pas à redouter les projectiles incendiaires, ils ont établi,
tout autour de l'énorme cylindre, quarante-huit consoles de pierre de 1m,07
de saillie sur 0,30 c. d'épaisseur, pour asseoir le hourdage dont notre
fig. 6 donne la coupe en A. En B, on voit l'une des consoles formées de
deux assises chacune. Sur ces consoles, en temps de guerre, reposait un
patin C, recevant deux poteaux inclinés DE. Des moises F, posées un peu
au-dessus du niveau de la ventrière des créneaux, servaient à porter un
plancher destiné aux arbalétriers. En avant de ce plancher était ouvert
un mâchicoulis G à l'aplomb de la base du talus du donjon au fond du
fossé. Suivant le système précédemment expliqué, des madriers de
garde entraient en rainure en avant des poteaux D, doublés d'un
deuxième poteau pincé à sa base par les moises. Au sommet de la
corniche H est élevé un talus double de pierre, sur lequel venait
s'appuyer le double chevronnage II', dont le glissement était maintenu
par l'équerre J. Sur le banc continu K intérieur étaient posés d'autres
poteaux inclinés L, pincés par les moises M et s'assemblant dans les
chevrons I'. Sur ces moises M, des longrines recevaient un plancher O,
qui, au droit de chaque créneau, se reposait sur la ventrière, mais de
manière à laisser entre ces planchers et celui du hourdage un
mâchicoulis N à l'aplomb du parement extérieur de la tour. Le plancher
O, mis en communication avec la terrasse par quelques escaliers P,
permettait d'arriver au plancher du hourdage, et de poster un second
rang d'arbalétriers qui pouvaient tirer par les meurtrières en
maçonnerie R (voy. la face intérieure T qui représente, en T', le
crénelage nu, et en T le crénelage avec les hourds).
L'angle du tir est surtout disposé pour couvrir de projectiles le
chemin de ronde de la chemise du donjon. Les mâchicoulis suffisaient
amplement pour battre le fond du fossé dallé, creusé entre cette
chemise et la tour. Les défenseurs postés soit sur le hourdage, soit à
l'intérieur, étaient ainsi parfaitement à couvert. Des pierres amassées
dans l'embrasure des créneaux sur le plancher O pouvaient être poussées
du pied et être jetées rapidement par le mâchicoulis N. En S sont
percées les conduites rejetant à l'extérieur les eaux de la terrasse;
ces conduites étaient autrefois garnies de plomb, comme la terrasse
elle-même. Un fragment du plan du sommet du donjon de Coucy, avec les hourds posés supposés coupés au niveau ab (7), complète l'explication de la fig. 6.
Nous avons tenu à nous rendre compte de la manière de poser ces
hourds, à une hauteur de 46 mètres au-dessus du fond du fossé, sur des
consoles isolées en contre-bas des crénelages. Ayant eu à poser un
échafaudage à la hauteur de ces consoles, pour placer deux cercles en
fer et pour réparer les couronnements profondément lézardés par
l'explosion de 1652, nous avons dû chercher naturellement quels avaient
été les moyens pratiques employés au XIIIe siècle pour
assembler les hourds. Or tout est prévu et calculé dans ce remarquable
couronnement de donjon pour faciliter ce travail en apparence si
périlleux, et nous avons été conduit, par la disposition même des
maçonneries, des pleins et des vides, à appliquer les procédés
qu'employaient les charpentiers du XIIIe siècle, par la raison qu'on ne peut en employer d'autres. On se rappelle (voy. Donjon, fig. 38 et 39) comment est tracé le plan de la plate-forme du donjon de Coucy.
Cette plate-forme se compose d'un large chemin de ronde circulaire,
pourtournant une voûte à douze pans revêtue de plomb et formant un
pavillon plat, au centre duquel est percé un œil. Ce chemin de ronde
circulaire, et divisé par pentes et contre-pentes pour rejeter les eaux
en dehors, pouvait être facilement nivelé au moyen de madriers posés
sur cales. Ces madriers (voy. fig. 8), sur deux rangs A et B, formaient
deux chemins de bois sur lesquels étaient posée une grue dont les roues
A, d'un plus grand diamètre que celles B, permettaient la manœuvre
circulaire. Le nez C de cette grue dépassait l'aplomb de la grande
corniche D à l'extérieur. Comme sur les talus de cette corniche
s'élevaient quatre pinacles P, il fallait que la flèche de la grue pût
se relever pour passer au droit de ces pinacles. Cette flèche pivotait
donc sur un tourillon G, et était ramenée à son inclinaison, puis
arrêtée à la queue par la traverse F et par un boulon I. Le détail K
présente cette grue de face du côté du treuil. Mais il fallait que les
charpentiers pussent, à l'extérieur, assembler les pièces que cette
grue péchait et enlevait par les ouvertures des créneaux. Un échafaud
en bascule, indiqué en L en profil et en L' de face, permettait d'avoir
un premier pont M au droit de chaque créneau et au niveau des moises
basses du hourdage, et un second pont N, en contre-bas, pour pouvoir
poser les patins sur les consoles et assembler les poteaux inclinés
dans ces patins. Des ouvriers à cheval sur le sommet des talus de la
corniche pouvaient facilement assembler les chevrons entre eux et
régler le plan de chaque ferme. Ainsi, de l'intérieur du donjon,
l'opération entière de la pose des hourds pouvait se faire en peu de
temps et sans exiger d'autres échafauds que ces petits planchers en
bascule établis en dehors de chaque créneau, d'autres engins que cette
grue, manœuvrant circulairement par le moyen de ses roues de diamètres
différents. L'échafaud L en bascule était fait seulement pour un
créneau et transporté successivement par la grue elle-même6.
En examinant cette dernière figure avec attention, on voit 1º que
l'ouverture des créneaux est mise en rapport avec les écartements des
consoles, pour que les moises pendantes O puissent passer juste le long
de leurs parois; 2º que la fermeture en tiers-point de ces créneaux est
faite pour permettre d'étançonner convenablement les deux solives en
bascule posant sur la ventrière V; 3º qu'au moyen des deux traverses
RR, des jambettes inclinées S et des chandelles également inclinées J,
les solives en bascule M ne pouvaient ni branler ni s'en aller au vide;
4º que les talus de la grande corniche, dont on ne pouvait s'expliquer
l'utilité, sont parfaitement motivés par l'inclinaison des chevrons qui
venaient se reposer franchement sur leurs faces; 5º que la forte
saillie intérieure et extérieure de cette corniche soulageait d'autant
ces chevrons; qu'enfin ce qu'il y a d'étrange au premier abord dans ce
couronnement colossal, nullement motivé par la présence des créneaux et
des meurtrières, s'explique du moment qu'on étudie la combinaison des
hourds et la manière de les poser. Mais telle est cette architecture du
moyen âge: il faut sans cesse chercher l'explication de toutes ses
formes, car elles ont nécessairement, surtout dans les édifices
militaires, une raison d'être, une utilité; et cela contribue à l'effet
saisissant de ces vastes constructions.
La fig. 9 donne en perspective les manœuvres des charpentiers posant les hourds du donjon de Coucy.
On voit comment les petits ponts en bascule des créneaux suffisaient
parfaitement pour assembler ces charpentes ferme par ferme; car
celles-ci placées, la circulation était de suite établie en dehors pour
clouer les planches du chemin de ronde et les madriers de la
couverture. Il faut bien admettre certainement que les charpentiers de
cette époque étaient fort habiles au levage, et il suffit d'ailleurs,
pour s'en convaincre, de voir les charpentes qu'ils ont dressées; mais
les moyens pratiques employés ici sont si bien expliqués par la
disposition des lieux, et ces moyens sont si sûrs, si peu dangereux,
comparativement à ce que nous voyons faire chaque jour, que le hourdage
du donjon de Coucy ne devait présenter aucune difficulté sérieuse7.
Il ne fallait pas moins, pour armer une fortification de ses
hourds, des ouvriers, du bois en quantité, et encore risquait-on de
laisser brûler ces galeries extérieures par l'ennemi; aussi, vers le
commencement du XIVe siècle, renonce-t-on généralement en
France aux hourds de charpente pour les remplacer par des mâchicoulis
avec mur de garde en pierre (voy. Architecture Militaire, fig. 33, 34, 36, 37 et 38, et l'article Mâchicoulis).
Ce n'est que dans les provinces de l'Est que les architectes militaires
continuent à employer les hourds. On en voit encore un grand nombre,
qui datent des XIVe, XVe et XVIe
siècles, en Suisse, en Allemagne; mais ces hourds sont habituellement
posés sur la tête des murs et ne se combinent plus avec les crénelages
comme ceux des XIIe et XIIIe siècles.
Voici, par exemple, un hourdage posé au sommet d'un clocher du XIIe siècle, à Dugny près Verdun. Ce hourdage (10) est, bien entendu, d'une époque postérieure, du XIVe
siècle, pensons-nous. Il se compose d'un pan de bois posé en
encorbellement sur des solives et revêtu d'une chemise de planches
verticales clouées sur les traverses hautes et basses de ce pan de
bois. Le tout est recouvert d'un comble8. Beaucoup de tours des environs de Verdun sont encore garnies de ces hourds élevés pendant les guerres des XIVe et XVe siècles et qui, depuis lors, ont été laissés en place et servent de beffrois.
À Constance, en Suisse, on voit encore un certain nombre de tours garnies de hourds qui datent du XVe
siècle. Le bâtiment de la douane de cette ville, qui date de 1398, a
conservé à sa partie supérieure une belle galerie de hourds de la même
époque, galerie dont nous présentons (11) une coupe. Ces hourds se
combinent avec la charpente du comble et couronnent la tête des murs
sur deux côtés du bâtiment faisant face aux quais (voy. Bretèche,
fig. 3). Le tracé A fait voir le système de hourdage en planches
verticales à l'extérieur, et le tracé B le détail de la découpure
inférieure de ces planches en sapin d'une forte épaisseur, avec leurs
couvre-joints C. Comme toujours, un mâchicoulis continu est réservé en
D.
On établit encore des hourds contre
l'artillerie à feu; mais alors on prenait la précaution de remplacer
les planches par un hourdis en maçonnerie entre les membrures. On voit
des hourds de ce genre encore existants en Lorraine et en Suisse,
notamment au-dessus de la tour qui termine le pont de Constance du côté de la ville. À Nuremberg, il existe encore des hourds du XVIe siècle sur les remparts élevés par Albert Dürer (voy. Créneau,
fig. 18). Ces hourds sont maçonnés entre les membrures et couronnent
les parapets des courtines par-dessus la grosse artillerie.
On donnait aussi le nom de hourd à des échafauds que l'on
dressait soit dans des salles, soit sur l'un des côtés d'un champ, pour
permettre à des personnes de distinction de voir certaines cérémonies,
des ballets ou des combats en champ clos. Ces hourds étaient alors
encourtinés, c'est-à-dire recouverts de riches étoffes, d'écussons
armoyés, de peintures sur toile, de tapisseries. Leur intérieur était
disposé en gradins et quelquefois divisé en loges séparées par des
cloisons drapées. Les manuscrits du XVe siècle nous ont
conservé un grand nombre de ces échafauds décorés, établis à l'occasion
d'un tournois, d'un banquet ou d'une fête.