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s. f. Les Romains étaient experts dans l'art de la serrurerie, si
l'on en juge par quelques fragments qui nous sont restés. Ils
employaient le fer dans les bâtisses, non point comme nous le faisons
aujourd'hui, mais comme agrafes, crampons, goujons, chevillettes,
boulons à clavettes, queues-de-carpe, équerres, étriers, etc. Dans les
Gaules, dès l'époque romaine, certaines provinces étaient célèbres par
leurs produits en fer ouvré, notamment les provinces du Nord et de
l'Est, le Berry, le Dauphiné. Comme toutes les grandes industries,
celle de la fabrication des ouvrages de fer dut souffrir des invasions
pendant les Ve et VIe siècles, bien que la
plupart des nouveaux conquérants ne fussent point étrangers au
façonnage des métaux; mais ces nouveaux venus n'employaient guère ces
matières que pour des ustensiles, des armes, des chariots. Quant à
l'art de la construction, il était tombé si bas, qu'à peine songeait-on
à y employer le fer autrement que pour ferrer grossièrement des huis et
façonner des grilles. Les établissements monastiques reprirent en main
cette industrie perdue; ils se mirent à exploiter des mines
abandonnées, à établir des fourneaux, des forges, et bientôt ils purent
atteindre une perfection relative, ou tout au moins remettre en
circulation une quantité considérable de fers façonnés au marteau. Peu
à peu l'art de la serrurerie, pour lequel certains peuples de la Gaule
avaient une aptitude particulière, reprit une grande importance, et dès
le commencement du XIIe siècle l'industrie des fers forgés
était poussée assez loin. Les moyens de fabrication étaient faibles
cependant: on ne possédait ni cylindres, ni laminoirs, ni filières; on
ignorait la puissance de ce moteur, la vapeur, qui permet d'ouvrer le
fer en grandes pièces. Un martinet mû par un cours d'eau composait tout
le matériel d'une usine. Le fer, obtenu en lopins forgés d'un poids
médiocre, était donné aux forgerons qui, à force de bras,
convertissaient ces lopins en barres, en fer battu, en pièces plus ou
moins menues. Alors la lime n'était point inventée, les cisailles
n'existaient pas ou ne pouvaient avoir qu'une force minime. Cette
pénurie de moyens était une condition pour que la fabrication au
marteau atteignît une certaine perfection. Les forgerons du moyen âge
avaient en outre acquis une grande habileté lorsqu'il s'agissait
d'obtenir des soudures à chaud, que nous ne faisons que bien
difficilement aujourd'hui. Il est vrai que les premiers procédés pour
réduire le fer en barres étaient si nombreux, qu'ils donnaient au métal
une qualité que ne sauraient atteindre nos moyens modernes. Nos fers
passent de l'état de lopins de fonte à peine corroyée au martinet, à
l'état de barres par le laminage au cylindre, sans opération
intermédiaire, tandis qu'autrefois le fer n'arrivait que peu à peu, et
par un corroyage répété, de l'état de lopin à celui de barreau ou de
plaque. Ce fer, sans cesse battu, acquérait une ténacité et en même
temps une souplesse qu'il ne saurait avoir par les moyens employés
aujourd'hui; plus serré par le battage, plus concret, plus ductile,
moins criblé de parties de fonte, il ne se brûlait pas si facilement au
feu, et se soudait plus aisément au rouge blanc, sans pour cela devenir
cassant. Mais ces qualités du fer corroyé à bras d'homme reconnues, il
n'en faut pas moins signaler l'adresse rare avec laquelle les forgerons
du moyen âge savaient souder les pièces compliquées qui demandaient un
grand nombre de passages au feu, sans les brûler. Ils employaient
d'ailleurs le charbon de bois, soit pour obtenir la fonte, soit pour
convertir les gueuses en lopins et en fer battu: le charbon de bois
laisse au fer des qualités de souplesse et de ductilité que lui retire
en partie la houille. Il en est de la fabrication du fer appliquée aux
travaux d'art comme de beaucoup d'autres; ce que l'on gagne du côté de
l'industrie, de la rapidité, de la puissance et de l'économie des
moyens, on le perd du côté de l'art. En perfectionnant les procédés
mécaniques, l'homme néglige peu à peu cet outil supérieur à tout autre
qu'on appelle la main. Cependant on éprouvait des difficultés
insurmontables lorsqu'il s'agissait de façonner de grandes pièces de
forge à l'aide des bras, et la grande serrurerie de bâtiment ne
commence à naître qu'au moment où les puissances de la mécanique purent
être sérieusement employées. Ainsi, le mettait-on en œuvre dans les
édifices, soit pour des chaînages, soit pour des armatures, que des
pièces de forge dont le poids n'excédait pas 200 kilogrammes, dont la
plus grande longueur ne dépassait pas quatre mètres, et encore les
pièces de cette force sont-elles fort rares avant le XVIIIe siècle. Nous avons fait voir ailleurs comment les chaînages étaient combinés pendant les XIIe, XIIIe, XIVe et XVe siècles (voyez Chaînage)
dans les grandes constructions. Ils consistaient en une suite de
crampons agrafés les uns aux autres ou scellés dans la pierre. Pour les
charpentes de fer, il n'en était pas question, bien entendu; et même
dans les charpentes de bois, le fer n'était pas employé (voyez Charpente). À dater du XIIIe
siècle, le fer, cependant, remplit un rôle très-important dans les
constructions comme tirants, crampons, armatures de baies, mais
toujours en petites parties. Les nœuds, les renflements des crampons,
des traits de Jupiter, les œils et leurs goujons souvent
répétés, formaient, dans les maçonneries, des poches de fer
volumineuses qui, en s'oxydant, faisaient éclater les pierres et
causaient de graves désordres.
On tentait bien d'éviter le danger de l'oxydation par des
scellements en plomb, mais ce moyen était insuffisant, et bon nombre de
monuments doivent en partie leur état de ruine à ces masses de fer
enfermées entre les assises et cramponnées dans leurs lits. La grande
serrurerie restait, par l'insuffisance des moyens mécaniques, à l'état
barbare, tandis que la serrurerie fine s'élevait au contraire à la
hauteur d'un art très-parfait dans sa forme et dans ses moyens
d'exécution. Dans un même édifice dont la grosse serrurerie accuse les
procédés de fabrication les plus naïfs, vous trouvez, comme à
Notre-Dame de Paris, des pentures de portes dont la merveilleuse
exécution est un sujet d'étonnement pour les gens du métier. Pour ces
forgerons des XIIe et XIIIe siècles, le fer
semblait être une matière molle et facile à souder comme l'est la cire
ou le plomb, et c'est à grand'peine si quelques très-rares ouvriers de
nos jours parviennent à façonner des pièces de cette nature, qui alors
étaient fort communes.
Dans les règlements d'Étienne Boileau, il n'est pas question du
corps d'état des serruriers façonnant la grosse serrurerie de bâtiment,
mais seulement des greifiers, faiseurs de fermetures de portes (pentures), des grossiers
(taillandiers) et des serruriers, fabricants de serrures. Ces ouvriers
pouvaient prendre autant d'apprentis qu'il leur plaisait, et avaient
permission de travailler de nuit, les serruriers exceptés, à cause de
la perfection qu'exigeait ce genre d'ouvrage.
Les pentures étaient un genre de serrurerie fort prisé pendant le
moyen âge et qui exigeait un apprentissage spécial. Nous nous
occuperons donc d'abord de cette partie de la serrurerie fine de
bâtiment.
On désigne ainsi des bandes de fer clouées et boulonnées aux vantaux
des portes, munies d'un œil entrant dans un gond, destinées à suspendre
ces vantaux et à permettre de les faire pivoter facilement sur ces
gonds.
Jousse1, dans son traité de la serrurerie,
si précieux aujourd'hui en ce qu'il nous retrace une partie des
procédés employés par les ouvriers du moyen âge, s'exprime ainsi à
propos des pentures: «Ce sont des barres de fer plat, qu'il faut percer
tout au long, pour les attacher contre la porte avec des clous rivez,
ou bien avec un crampon qui passe par-dessus le collet de la bande,
lequel crampon passe au travers de la porte et est rivé par l'autre
costé sur le bois. Le bout de la dite bande se replie en rond, de la
grosseur du mamelon du gond, qui est le bout qui sort dehors la pierre
ou bois, où il est posé; lequel bout du gond entre dedans le reply de
la dite bande, qui sera soudé si on veut, et arrondi en façon que le
gond tourne aisément dedans. Autres y font des bandes flamandes pour
porter les dites portes. Ces bandes sont faites de deux barres de fer
soudées l'une contre l'autre et replyées en rond comme la précédente
pour faire passer et tourner le gond. Après qu'elles sont soudées, on
les ouvre et sépare l'une de l'autre, autant que la porte a
d'épaisseur, puis on les recourbe, le plus quarrément que l'on peut
pour les faire joindre et serrer des deux costez de la porte,
principallement du costé de dehors: ceste façon de bandes vaut mieux
que les communes parce qu'elles prennent les deux costez de la porte.
On y en met trois pour l'ordinaire; on y met quelquefois deux de ces
bandes flamandes, ou d'autres droictes, avec un pivot au bas qui prend
souz la porte qui vaut encore mieux, pourveu qu'il soit bien fait et
mis comme il faut...» En effet, les pentures de portes pendant le moyen
âge étaient exactement fabriquées ainsi que Jousse l'indique encore au
commencement du XVIIe siècle. Ces pièces de fer ont, au
point de vue de l'art du forgeron, une importance considérable.
L'ouvrier qui peut forger une penture dans le genre de celles que nous
trouvons si fréquemment attachées aux portes des édifices des XIIe et XIIIe siècles, atteint les dernières limites de son art et peut façonner les pièces les plus difficiles.
La figure 1 montre divers genres de pentures. En A, est la penture simple avec son œil en b, son collet en c, le crampon d'attache derrière le renflement du collet en d. B est le géométral de la penture en coupe sur le vantail; d' est le crampon avec sa double rivure en e; en f, le scellement du gond. La ligne ops
indique la feuillure du jambage. Souvent la rive du vantail est
entaillée pour arriver à fond de feuillure, et l'œil de la penture est
détourné, ainsi qu'on le voit en m, détail C. Alors l'œil a
moins de champ que le plat de la penture, pour ne pas trop affamer le
bois, conformément au tracé perspectif G. Une rondelle g est interposée entre le renfort carré h
du gond et cet œil. Les pentures flamandes à doubles bandes sont
façonnées suivant les tracés I et K. Les pentures les plus anciennes
ont, soudé à leur collet, un arc de fer qui embrasse puissamment les
frises du vantail près de la rive (voyez en L). Ce système, adopté dès
le XIe siècle, présente une difficulté de soudure, car il
faut refouler le fer de manière à en faire sortir les deux souches des
branches, afin de souder celles-ci, puis laisser une queue suffisante
pour rouler l'œil, le souder et courber l'extrémité (voyez en C). Ces
opérations demandent du soin, pour ne pas brûler le fer et pour que les
soudures des deux branches courbes soient largement faites, le fer
ayant juste le degré de chaleur convenable. Mais ces difficultés ne
sont rien, comparées à celles qui résultent de la soudure des branches
nombreuses dont se composent souvent ces pentures et qui sortent de la
tige principale. Il ne faudrait pas croire que les branches multipliées
soudées à la bande des pentures sont de simples ornements. Ces
branches, percées de trous, permettant de multiplier les clous,
maintiennent fortement les frises de bois entre elles, forment sur les
vantaux comme une sorte de réseau de fer, et empêchent les bandes de donner du nez,
c'est-à-dire de fléchir sous le poids des frises. Les forgerons
trouvèrent dans cette nécessité de structure un motif d'ornementation.
Les plus anciennes pentures sont, en effet, composées de telle façon,
qu'en suspendant les vantaux sur les gonds, elles retiennent, sur un
espace assez large, les frises les plus rapprochées du collet ou de
l'œil. Ainsi, trouve-t-on encore assez fréquemment des pentures de la
fin du XIe siècle qui affectent la forme d'un C (fig. 2),
soudé au collet, de telle sorte que les deux branches A clouées sur les
frises les maintiennent fortement de B en C. Bientôt une bande
indépendante de la penture, et appelée fausse penture, rend toutes les
frises du vantail solidaires. On voit des pentures de ce genre à l'une des portes de la cathédrale du Puy en Velay, à Ébreuil (Allier). Ces dernières sont fort belles, et nous en donnons (fig. 3) le dessin; elles datent du commencement du XIIe
siècle. Le collet de la penture en forme de C passe à travers le bois
et est soudé, ainsi que l'indique le détail A. En B, est la section
d'une branche sur ab.
La composition de l'ensemble des ferrures de la porte principale de l'église d'Ébreuil
est assez remarquable. Chaque vantail n'est suspendu que par deux
pentures; sept fausses pentures garnissent les frises et les
maintiennent entre elles. La fausse penture du milieu, plus riche que
les six autres, forme une double palmette d'un beau caractère. Ces
ferrures sont posées sur des peaux marouflées sur le bois et peintes en
rouge vif. Deux anneaux attachés à des mufles de lion de bronze
facilitent le tirage des vantaux.
L'art de souder le fer au marteau arrivait déjà, au commencement du XIIe
siècle, à une grande perfection. Les exemples abondent, et nous n'avons
que l'embarras du choix. Quand il s'agit seulement de souder à une
branche principale des rameaux secondaires, la besogne n'est pas
très-difficile pour un forgeron habile; mais si l'on prétend réunir des
rinceaux à un centre, composer des sortes d'entrelacs, le travail exige
une grande pratique et une main aussi leste qu'habile. Ces fausses
pentures, par exemple, provenant de la porte de l'église de Neuvy-Saint-Sépulcre
(fig. 4) présentent un travail de forge d'une difficulté réelle. Pour
obtenir les soudures A et B, surtout celles A, l'ouvrier, s'il n'est
très-adroit, risque fort de brûler son fer, car il lui faut remettre la
pièce au feu plusieurs fois, et cela sur un seul point. Il commence par
forger et souder une pièce C à laquelle il soude les huit branches
l'une après l'autre; or, la branche a étant soudée, s'il veut souder celle b, il faut que son feu et son soufflet soient dirigés seulement sur le bout b, sans chauffer au rouge la pièce a. Pour les soudures B, les deux branches E,G, étant forgées, on les chauffait toutes deux en g, puis on les battait pour les souder ensemble sur une doublure h (voyez cette doublure ornée h, préparée avant la soudure). Nous verrons tout à l'heure avec quelle adresse les forgerons arrivèrent, à la fin du XIIe
siècle, à façonner des pièces bien autrement compliquées. Les
extrémités des branches sont enroulées, ainsi que le montre le tracé H,
de manière à laisser un œil pour passer la tige du clou à tête carrée p.
Mais ces sortes de pentures étaient assez riches
d'ornementation déjà, et exigeaient un grand nombre de soudures, car
tous ces bouquets devaient être forgés à part et soudés aux tiges
principales. On employait souvent un procédé plus simple, et qui
cependant permettait une ornementation assez brillante. Ce procédé
consistait à détacher certaines parties d'une bande de fer à chaud, et
à leur donner un galbe particulier. Ainsi (fig. 5) soit une bande de
fer plat A: on fendait à chaud, le long de ses rives, des languettes de
fer a; on courbait à chaud cette bande de fer sur son champ,
ainsi que l'indique le tracé B, puis on galbait chacune des brindilles
refendues, en volutes a'. L'œil de chacune de ces volutes était destiné à laisser passer une tige de clou c dont la tête pressait les bords du fer (voyez en b). On soudait alors la branche courbe, en D, à la bande droite de la penture.
Cet exemple provient d'une porte de l'église de Blazincourt (Gironde), et date du XIIe
siècle. Les bouts E des branches courbes se terminent en façon de
têtes, ainsi que l'indique le profil F. Pour obtenir ce renfort, le fer
a été refoulé, puis fendu et façonné au marteau, avant de courber la
branche et ses volutes.
Voici en G une autre penture forgée d'après le même principe et provenant de l'église de Saint-Saturnin, de Moulis (Gironde)2. On voit en g comment le forgeron a refendu et préparé la bande droite de la penture pour obtenir les petites volutes h.
Rien n'était plus simple que ce genre de travail, qui n'exigeait
d'autres soudures que celles des deux branches courbes avec la tige
droite. Ces volutes étaient naturellement les attaches des clous, et
évitaient les trous dans les bandes ou branches, trous dont
multiplicité affame le fer et provoque souvent des brisures. Les portes
de l'église de Saint-Martin, à Angers,
sont garnies encore de fausses pentures qui, comme travail de forge et
de soudure, sont une œuvre assez remarquable. La figure 6 donne l'une
de ces fausses pentures. Il n'est pas fort aisé de souder le cercle
milieu avec les quatre branches de la croix. Ces bandes ont été battues
à chaud l'une sur l'autre, puis découpées à l'étampe et au burin. En A
est la section faite sur ab, et en B le détail d'une des
feuilles extrêmes C. Quand il s'agit de souder ainsi deux pièces de fer
croisées ou rapportées l'une sur l'autre, on fait chauffer au rouge
cerise la pièce du dessous et au rouge blanc la pièce du dessus, puis
on martèle à petits coups d'abord, et à coups plus forts à mesure que
le fer refroidit. Si les deux pièces étaient chauffées au rouge blanc,
on risquerait, au premier coup de marteau, de ne plus rien trouver sur
l'enclume. C'était par les différents degrés de chauffage que les
forgerons pouvaient arriver à souder un grand nombre de pièces, comme
nous le verrons tout à l'heure.
Les fausses pentures de Saint-Martin, à Angers, datent du XIIe
siècle, et présentent, pour l'époque, cette particularité curieuse des
évidements ménagés dans les bandes et découpés après la soudure des
pièces. Le battage des deux fers superposés, du cercle et des deux
branches de la croix, donnait après l'opération la forme D, --cette
forme D étant la réunion E,--car la double épaisseur du fer, sous le
marteau, s'était étendue en remplissant les angles. Ces angles étaient
élégis au burin, sans le secours de la lime, qui n'était pas employée à
cette époque. Il était plus rationnel de donner cependant plus
d'épaisseur ou de largeur aux parties soudées, et de profiter ainsi du
procédé pour contribuer à l'ornementation. C'est dans cet esprit que
sont fabriquées les jolies pentures du XIIe siècle attachées
à la porte méridionale de l'ancienne cathédrale de Schlestadt, et dont
nous donnons le dessin figure 7. Le collet A est soudé aux deux
branches C au moyen d'un renfort, ainsi qu'on le voit sur le profil en
B. La tige elle-même possède un renfort D sous lequel est soudée
l'embase G de la bande principale, cette embase étant élargie pour
faciliter l'opération de soudure. Le renfort D a été élégi au burin
après le martelage. Les branches extrêmes E sont soudées sur
l'extrémité F, également élargie, de la bande droite. Ainsi le fer
refoulé latéralement par le martelage à chaud a été utilisé dans
l'ornementation. En H, est tracée à une plus grande échelle la tête du
boulon passant à travers le renfort du collet; cette tête de boulon
possède deux rondelles étampées. En I, est tracée la section de la
bande faite sur ab. On remarquera les coups de burin donnés sur
les soudures et formant gravure. Ces coups de burin frappés au moment
où le fer se refroidit et n'est plus que rouge sombre, raffermissent
encore les soudures et dissimulent les inégalités produites par le
martelage sur une surface plane. On voit également des coups de burin
en g, aux extrémités des soudures longitudinales des branches.
Les exemples que nous avons donnés ne montrent
que des pentures forgées simples, c'est-à-dire composées d'une simple
épaisseur de fer plus ou moins travaillé. Mais les serruriers,
lorsqu'ils façonnaient des pentures d'une grande dimension, étaient
obligés de donner à la bande principale une très-forte épaisseur près
du collet, ce qui rendait les soudures des branches difficiles et les
pentures très-lourdes; ou de renforcer ces bandes par des doublures,
des nerfs, qui, sans augmenter beaucoup leur poids, ajoutaient
singulièrement à leur force. Ces doublures, ces nerfs, n'étaient soudés
au corps principal que de distance en distance, au moyen d'embrasses,
de telle sorte que ces bandes superposées conservaient une grande
élasticité et une roideur extraordinaire.
En effet, si sur une bande de fer d'un centimètre
d'épaisseur (fig. 8), nous soudons une doublure seulement au moyen des
deux embrasses A et B, en laissant d'ailleurs ces deux fers libres,
ainsi que le montre la section C, nous obtenons une tige plus roide et
moins sujette à être brisée que si la doublure était réunie à la bande
dans toute sa longueur. Si même (fig. 9) nous formons la bande
principale au moyen de plusieurs tiges juxtaposées et soudées seulement
par des embrasses, nous obtiendrons également une résistance plus
grande et nous aurons moins à craindre les brisures. En supposant donc
la bande principale D formée de trois tiges E, F, G (voyez la section
H) soudées par les embrasses I, K, cette bande aura autant de roide
qu'une barre pleine, sera moins sujette à se briser et sera plus légère.
Les forgerons adoptent ces méthodes dès la fin du XIIIe
siècle, et nous en avons un exemple bien remarquable dans la
fabrication des belles pentures des deux portes latérales de la façade
occidentale de Notre-Dame de Paris, qui datent de cette époque. Ces
pentures sont forgées, en grande partie, au moyen de faisceaux de
tiges, tant pour les bandes que pour les branches, faisceaux
quelquefois soudés dans toute leur longueur, quelquefois sur certains
points, mais toujours solidement réunis au moyen d'embrasses riches,
renforcées par des appendices qui ajoutent à la solidité de l'œuvre
aussi bien qu'à son ornementation.
Inutile de répéter ici les opinions singulières
qui ont été émises sur la fabrication de ces pentures, pendant le
dernier siècle et de nos jours encore. Les uns ont prétendu qu'elles
étaient fondues, d'autres qu'elles étaient en partie évidées à la lime,
plusieurs qu'elles étaient composées de brindilles de fonte soudées par
un procédé inconnu. Disons tout de suite que les serruriers forgerons
ne se sont jamais mépris sur le mode de fabrication de ces ferrures;
mais dans les questions de cette nature, on préfère souvent écrire des
pages entières dans son cabinet à consulter le premier praticien venu.
Réaumur, cependant, avait indiqué le véritable
mode employé pour forger les pentures de Notre-Dame de Paris... «Quoi
qu'on en dise», écrit-il dans la note insérée dans l'Encyclopédie, «le corps des pentures et les ornements sont de fer forgé
et faits, comme on les ferait aujourd'hui, de divers morceaux soudés
tantôt les uns sur les autres, tantôt les uns au bout des autres; ce
qu'il y a de mieux n'est pas même la façon dont ils l'ont été, les
endroits où il y a eu des pièces rapportées sont assez visibles à qui
l'examine avec attention: on n'a pas pris assez de soin de les réparer,
quoique cela fût aisé à faire.»
En effet, les soudures se voient sur bien des
points et n'ont pas été réparées au burin ou à la lime, elles n'en sont
pas moins très-habilement faites; mais peut-être Réaumur a-t-il voulu
parler de certaines pièces rapportées au XVe siècle pour
réparer des dommages, et simplement clouées à côté des fragments
anciens?... «Quoi qu'il en soit», ajoute-t-il, «ces pentures sont
certainement un ouvrage qui a demandé un temps très-considérable et qui
a été difficile à exécuter. Il n'est pas aisé de concevoir comment on a
pu souder ensemble toutes les pièces dont elles sont composées: il y a
cependant apparence que toutes celles d'une penture l'ont été avant
qu'elle ait été appliquée sur la porte, car on aurait brûlé le bois en
chauffant les deux pièces qui devaient être réunies.» (Il faut avouer
que cette dernière observation ne manque pas de naïveté.) «...On n'a
pas mis non plus une pareille masse à une forge ordinaire; il paraît
nécessaire que dans cette circonstance la forge vint chercher
l'ouvrage... On s'est apparemment servi de soufflets portatifs, comme
on s'en sert encore aujourd'hui en divers cas; on a eu soin de
rapporter (souder) des cordons, des liens, des fleurons, etc., dans
tous les endroits où de petites tiges et des branches menues se
réunissaient à une tige ou branche plus considérable.
«Les pièces rapportées (soudées par dessus)
cachent les endroits où les autres ont été soudées (bout à bout): c'est
ce qu'on peut observer en plusieurs endroits où les cordons ou fleurons
ont été emportés; ces cordons et fleurons avaient sans doute été
rapportés et réparés après avoir été soudés...» Bien que cette
appréciation de l'œuvre de ferronnerie qui nous occupe ici soit assez
exacte, cependant Réaumur n'avait point évidemment consulté un
forgeron. Ces pièces qu'il indique comme rapportées sont soudées, et
n'ont pas été étampées après la soudure, mais avant; leurs embrasses
ont été retouchées parfois au burin, mais à chaud.
Du reste, examinons ces pentures en laissant de
côté ces appréciations plus ou moins rapprochées de la vérité; comme
nous en avons fait fabriquer d'absolument pareilles3, nous pouvons en parler avec une connaissance exacte des moyens employés ou à employer.
Naturellement, la première opération consiste à dessiner un carton
de la penture qu'on prétend faire forger, grandeur d'exécution; carton
qui sert de patron pour forger et étamper d'abord toutes les brindilles
et tiges développées; après quoi on soude les brindilles ensemble,
suivant le dessin, pour en former les bouquets; puis on soude ces
bouquets ou groupes de feuilles aux tiges, puis on soude les tiges à la
bande principale, puis on donne aux tiges la courbe voulue. Autant pour
masquer que pour consolider les soudures, on rapporte à chaud, et l'on
soude par conséquent, d'autres feuilles ou des embrasses, bagues,
embases et ornements sur le plat de ces soudures premières.
Nous ne pourrions donner, dans cet ouvrage, l'ensemble des pentures
de Notre-Dame de Paris; d'ailleurs ces ensembles ont été publiés en
entier dans la Statistique monumentale de Paris d'après de
très-bons dessins de M. Bœswilwald, et en partie dans l'ouvrage de M.
Gailhabaud. Ce n'est pas là ce qui importe pour nous, mais bien les
détails de la fabrication. C'est donc sur ce point que nous insisterons.
Les bandes de ces pentures n'ont pas moins de 0m,16 à 0m,18 de largeur au collet, sur une épaisseur de 0m,02
environ, et elles sont composées, comme nous l'avons dit ci-dessus, de
plusieurs bandes réunies et soudées de distance en distance au moyen
d'embrasses qui ajoutent une grande force à l'ouvrage et qui recouvrent
les soudures des branches recourbées. Pour faciliter l'intelligence du
travail de forge, nous procéderons du simple au composé.
Le carton tracé, dont nous donnons (fig. 10) un fragment, un
bouquet, terminaison d'un enroulement, le forgeron a commencé par
forger séparément chacune des brindilles: celle A, par exemple, ainsi
que l'indique le détail a, celle B, ainsi que l'indique le détail b; celle C, ainsi que l'indique le détail c, etc. Il a eu soin de laisser à la queue de chacune de ces brindilles un talon de fer t
qui a permis de chauffer au rouge blanc ces renforts et de les souder
par le martelage. Il a donc obtenu à la base du bouquet, les brindilles
étant soudées, une surface plate dont il a coupé les bords au burin,
quand le fer était encore rouge. La queue de ce bouquet a été remise au
feu, ainsi que l'extrémité D de la branche, puis le bouquet a été soudé
à la branche. Pour masquer cette surface battue DG, une première
brindille avec feuille E a été soudée, ainsi qu'on le voit en E'; puis
par-dessus, l'embrasse H, portant les feuilles K, a été soudée à son
tour. Cette embrasse, mise au feu, n'était qu'un talon de fer épais;
c'est au moyen d'une étampe que le forgeron lui a donné sa forme
régulière et l'a soudée. Puis au burin il a nettoyé les bords et les
bavures sur la branche. Il faut dire que ces dernières pièces avaient
dû être chauffées au rouge blanc, tandis que le plat DG, destiné à les
recevoir, n'était chauffé qu'au rouge. Le dessous offrait ainsi une
consistance assez grande pour ne pas être déformé par le martelage sur
la queue de la foliole E, et par les coups violents donnés sur
l'embrasse par le marteau sur l'étampe.
Mais peut-être quelques-uns de nos lecteurs ne savent pas ce que nous entendons par étampe.
C'est une matrice de fer trempé, un coin auquel on a donné en creux la
forme de l'objet à étamper. Ainsi, toutes les folioles, les boutons de
ce bouquet, ont été obtenus au moyen d'étampes. Le forgeron a façonné
au marteau la tigette L, par exemple, à l'extrémité de laquelle il a
laissé une masse de fer un peu aplatie. Cette masse, mise au feu, a été
apposée sur l'étampe ayant la forme b, en creux, puis elle a
été fortement frappée d'un ou plusieurs coups de marteau, suivant la
saillie des reliefs à obtenir ou l'étendue de l'ornement. Le fer ainsi
s'est trouvé moulé, et les bords de l'ornement ont été enlevés
facilement. L'habileté du forgeron consiste à faire chauffer le fer à
étamper au degré convenable. Trop chaud, il s'échappe sous le coup du
marteau, et celui-ci, rencontrant la matrice, peut la briser; pas assez
chaud, on frapperait vainement sur le fer pour obtenir un bon moulage,
et alors la brindille est à recommencer, car le fer, déjà aplati, remis
au feu et soumis une seconde fois au coup du marteau, ne pourrait pas
remplir les creux de la matrice et ne donnerait qu'une épreuve indécise.
On concevra qu'il est plus aisé de façonner, de souder un bouquet de
ce genre, que de réunir des branches qui déjà sont chargées de
bouquets, de brindilles et de folioles contre-soudées sur ces branches.
Le forgeron des pentures de Notre-Dame de Paris a commencé par façonner
à part chacune des brindilles entrant dans la composition générale; il
a groupé ces brindilles en bouquets, il a soudé ces bouquets aux
branches secondaires; puis il a soudé ces branches secondaires ainsi
chargées, sinon contournées suivant leur galbe définitif, aux branches
principales, puis celles-ci à la bande principale, qui est le corps de
la penture, comme le tronc est le corps de l'arbre. Ces dernières
opérations sont de beaucoup les plus difficiles, tant à cause de la
précision qu'elles exigent pour donner à ces branches la longueur
convenable en les soudant, que par le poids de ces pièces qu'il faut
manier rapidement, et par le degré de chaleur qu'il convient de donner
à chaque partie à souder.
Voici (fig. 11) un autre fragment des pentures de la porte Sainte-Anne4, qui présente la réunion des deux branches secondaires, celles A et B, et des brindilles a,b,c,d,
à une branche principale C. Comme la branche D est la continuation de
la branche principale C, ces trois branches A,B,D, ont été d'abord
soudées ensemble en E, avec un prolongement EG finissant en ciseau. Sur
ce plat de la soudure E a été soudé d'abord le groupe de feuilles H,
puis la grosse branche C terminée par l'embase K et sa foliole, mais
cette foliole a été étampée, ainsi que l'embase K, sur le fer de
dessous E chauffé au rouge; la branche C elle-même a été soudée sur le
prolongement EG et étampée en nervures, à chaud, après le premier
martelage. Sur le corps des branches, quand on superpose des folioles,
ainsi que le montrent les détails M, le point de soudure de ces
folioles donne un renfort que le forgeron dispose à l'étampe en
rosette, comme on le voit en O, ou en façon d'embase, comme on le voit
en P. La difficulté est aussi d'obtenir, dans ces réunions de branches,
des courbes qui se suivent régulièrement sans jarreter. Pour cela,
l'ouvrier a tracé son carton sur une pierre ou une plaque de plâtre, et
il rapporte, après chaque soudure, sa penture sur ce patron, pour être
bien certain qu'il conserve exactement les courbes, les longueurs, les
distances de chacune des parties.
Si nous décrivons maintenant les procédés employés pour la façon de
la bande ou du corps principal de la penture, nous aurons rendu compte,
autant qu'il est nécessaire de le faire, de la fabrication des grandes
pentures de Notre-Dame de Paris. Cette dernière pièce est la plus
difficile à forger, surtout auprès du collet. La bande n'est pas faite
d'une seule pièce de fer, mais d'un très-grand nombre de pièces soudées
côte à côte et bout à bout.
Si nous prenons l'une de ces pentures, celle basse, au vantail de la
porte Sainte-Anne que chacun peut examiner de très-près, nous verrons
que cette penture se compose de cinq pièces principales (fig. 12): 1º
le collet A; 2º le premier membre B; 3º le second membre C; 4º le
troisième membre D; 5º le bouquet E. Chacun de ces membres a été
assemblé séparément avec ses branches principales, ses branches
secondaires, ses brindilles. De plus, la bande ou le corps de la
penture se compose, pour le collet, de quatre barres; pour le premier
membre, de trois barres; pour le second membre, de même; et pour le
quatrième membre, de trois barres aussi, mais plus minces. Ces barres,
parallèles et jointives, ne sont soudées entre elles qu'à leurs
extrémités, en a, b, c, d, etc. Ces soudures se
terminaient en palettes quelque peu amincies aux extrémités, en façon
de ciseau. Lorsqu'il a fallu réunir ces cinq parties en une seule, les
extrémités g, h, préparées, ont été chauffées et soudées, puis la soudure renforcée par une embrassure soudée. Les extrémités e, d, de même, et ainsi de suite jusqu'au collet.
Analysons donc cette dernière opération, la plus difficile et la
plus pénible de toutes, à cause du poids considérable de la pièce, de
l'étendue de la soudure et de son importance, puisque de la perfection
de l'ouvrage résulte toute la force de la penture.
La figure 13 représente la soudure du collet A avec le premier
membre B. Cette soudure faite (voyez le profil P), les brindilles C et
D ont été soudées par dessus; puis l'embrassure E, qui portait déjà,
avant l'application, les cinq folioles F et ses deux tigettes G.
L'embrassure soudée sur la face et en retour, le profil H a été étampé
et nettoyé au burin; de même sur la face et sur les côtés. On voit en I
la section des quatre barres composant le collet et réunies par la
soudure en K; en L, la section des trois barres composant la bande du
premier membre, et en M la section des branches soudées préalablement à
la souche de cette bande.
Il n'est pas nécessaire d'insister, pensons-nous, sur les
difficultés que présente ce travail pour ne pas brûler le fer, et pour
lui donner rigoureusement le degré de chaleur qu'exige une bonne
soudure. Il est évident que cette triple opération de battage à chaud,
que ces superpositions de brindilles et d'embrasses, donnent au fer une
grande résistance et assurent la solidité de la soudure première (celle
des deux morceaux de bandes), en la renforçant et en la soumettant
plusieurs fois au feu et au martelage. L'ornementation est donc ici
encore la conséquence du procédé de fabrication.
Le commencement du XIIIe siècle est l'apogée de l'art du
forgeron. Les pentures de Notre-Dame, des grilles des abbayes de
Saint-Denis, de Braisne, de Westminster; des pentures des cathédrales,
de Noyon, de Sens, de Rouen, etc., qui datent de cette époque5,
nous montrent des exemples de forge qui ne furent pas dépassés, ni même
atteints; car nous ne pouvons considérer comme ouvrages de forge les
œuvres en fer battu et repoussé des XVe et XVIe siècles. C'est là un procédé de fabrication tout autre et qui sort du domaine de l'architecture. Dès la fin du XIIIe
siècle, on cherche à éviter les difficultés de soudure, à remplacer les
fers étampés à chaud par des moyens qui demandent moins de force et
moins de temps. Les forgerons reculent devant ce travail qui exigeait,
avec des bras robustes, des soins, une grande expérience et une adresse
de mains extraordinaire. On voit encore de jolies pentures dans des
monuments du XIIIe siècle, qui, d'ailleurs, ne diffèrent pas, comme procédé de fabrication, de celles que nous venons de présenter.
Au commencement du XIVe siècle, les pentures prennent des
formes générales plus fines, plus découpées; les fers sont plats et ne
demandent plus un travail pénible.
Voici (fig. 14) une penture de cette époque, provenant de la porte nord de l'ancienne cathédrale de Carcassonne.
Le galbe en est délicat, cherché; les soudures, peu nombreuses, sont
bien faites et n'ont pas été renforcées et recouvertes par ces
embrasses habituellement employées jusqu'au milieu du XIIIe siècle. Cette penture date de 1320 environ.
Voici encore (fig. 15) une penture
très-simple, mais bien combinée, qui provient d'une porte de l'église
Saint-Jacques de Reims, et qui date du milieu du XIVe
siècle. Le vantail de la porte est à pivots P, et les pentures ne sont,
à vrai dire, que des bandes doubles qui pincent les traverses de la
porte avec les frises, ainsi que le fait voir la section A.
Extérieurement, la face de cette fausse penture n'est décorée que par
une arête saillante et des clous fort joliment forgés. En C, sont
tracés la face et le profil d'un de ces clous principaux. En D, est
donnée la section de la penture, dont les bords n'ont que 5
millimètres, et le milieu 8 millimètres.
On en venait, pour ces sortes d'ouvrages de
serrurerie fine, du fer soudé au fer battu, découpé à l'étampe ou au
burin, puis martelé à froid ou à une température peu élevée. L'usage
qui se répandit, dès le XIVe siècle, de fabriquer des plates,
c'est-à-dire des pièces d'armures de fer battu et repoussé, mit ce
genre de travail en vogue, et pénétra jusque dans la serrurerie fine de
bâtiment.
Pour les pentures à cette époque, elles sont
plus souvent prises dans une pièce de fer battu et découpé qu'obtenues
au moyen des soudures, comme précédemment.
Nous présentons ici (fig. 16) un exemple de ces sortes d'ouvrages du XIVe siècle6.
En A, est figurée la penture, ou plutôt le morceau de fer battu avant
le découpage. Ce morceau de fer avait alors la forme donnée par la
moitié abcde. Bien corroyé au marteau, également aplani,
découpé au burin sur ses bords, on a tracé sur sa face externe les
linéaments indiqués sur notre dessin. Alors la pièce iklm a été coupée et enlevée. Mettant au feu la partie Ad,
on l'a tordue de champ, ainsi que le fait voir le côté achevé B;
remettant au feu la palette D, on a écarté chacune des branches de
façon à obtenir les ouvertures d'angles g. Les trois branches ont elles-mêmes été recoupées au burin et façonnées au marteau, comme le montrent les folioles h.
Le travail a encore aminci le fer en l'étendant, et l'on a pu terminer
la partie sans la remettre au feu. Les bouts des folioles sont
légèrement recourbés en dedans, de manière à appuyer sur le bois et à
éviter des aspérités qui écorcheraient les vêtements des personnes
passant le long du vantail. Il a été procédé de même pour la branche E,
et pour le bouquet F. Outre les clous, dont les trous sont marqués sur
notre figure, une bride G maintenait le collet de la penture contre le
montant du vantail. En H, est tracé le profil de la penture, et en I,
le détail de la bride avec ses bouts fourchés propres à être rivés en
dedans du montant.
À propos de cette bride, nous signalerons ici certaines pentures
composées d'une simple bande, et qui ne sont pas clouées sur les
vantaux, mais maintenues seulement au moyen de brides rivées. En L, est
un exemple de ces sortes de pentures employées parfois lorsque les
portes ne se composent que de frises clouées sur des traverses. En M,
le profil de la penture L montre les brides enfoncées, et dont les
bouts pointus doivent être rabattus sur la traverse P, de manière à la
bien serrer. Alors ces brides O ont exactement, de p en s, la largeur de la traverse.
Ces modifications dans les procédés de fabrication de ces pièces de
serrurerie fine devaient conduire peu à peu à l'emploi du fer battu
rapporté après coup sur le corps principal de la penture. Cependant
l'Allemagne nous précéda dans cette voie de l'emploi du fer battu et
repoussé comme moyen décoratif de la serrurerie fine. Déjà, vers la fin
du XIVe siècle, on voit dans des ouvrages de serrurerie allemande, notamment à Augsbourg, à Nuremberg, à Munich,
des fers battus employés comme ornements, et que nous appellerions
aujourd'hui de la tôle repoussée, tandis qu'en France, ce mode ne
paraît guère adopté avant le commencement du XVe siècle pour des ouvrages de quelque importance.
La figure 17 expliquera l'emploi de ce procédé mixte7. La bande de la penture est une simple barre de fer plat de 0m,09 de largeur sur 0m,009 d'épaisseur au plus.
Sur cette bande a été rapporté un ornement de fer battu découpé et
repoussé; puis sur l'ornement, une baguette de fer forgé étampé en
façon de torsade, avec œils renflés pour recevoir les clous, et tête
d'animal à l'extrémité. L'ornement de tôle est, en outre, percé de
trous pour recevoir des clous, soit passant à travers la bande, soit
enfoncés directement dans les frises du vantail. En A, est présentée la
section (au double) de la bande, avec le mouvement de l'ornement, la
baguette de recouvrement et les têtes de clous. En B, le profil de
l'extrémité de la penture, avec la tête d'animal terminant la baguette.
Ce mode permettait d'obtenir une ornementation très-riche à peu de
frais; et sans avoir recours aux soudures. Cependant, parfois, ces fers
battus, d'une épaisseur d'un millimètre environ, sont soudés sur une
âme, à chaud, et sans interposition d'une matière plus fusible que le
fer. Il faut dire que ces sortes de ferrures n'étaient guère posées
directement sur le bois; mais sur une toile, ou une peau, ou un feutre
marouflé sur le vantail. D'ailleurs il en était de même pour la plupart
des pentures, et l'on trouve encore les traces de ces marouflages. Les
pentures de l'église d'Ébreuil,
que nous avons données au commencement de cet article, sont, ainsi
qu'il a été dit, posées sur une peau soigneusement appliquée sur le
vantail et peinte en rouge.
Voici un exemple (fig. 18) qui fera comprendre en quoi consiste ce
procédé d'application de plaques de fer battu, découpées et soudées sur
une assiette de fer forgé. Soit A une bande de fer forgé. Deux lames de
fer battu de 0m,002 d'épaisseur environ, a, b,
et découpées suivant le tracé B (moitié d'exécution), composent une
redenture à deux plans; ces lames, après avoir été rendues solidaires
par des rivets, sont appliquées sur la bande de fer forgé, celle-ci
étant rougie au feu. Au même moment, deux bandes de fer c, c,
chauffées au rouge blanc, sont adaptées le long des rives des lames de
fer découpé, puis frappées à l'étampe, qui, les soudant, leur donne une
ornementation en torsade ou en demi-rond. Ces deux languettes, se
soudant à la bande de fer, maintiennent les lames de fer découpées. Des
trous sont alors percés au milieu des à-jour pour permettre de clouer
la penture sur le vantail. Souvent des ornements de fer repoussé d, en façon de rondelles, contribuent à décorer la tête des clous.
En D, l'œil de la penture est figuré, celui-ci étant double et le
scellement portant de même un œil. Un boulon passe à travers ces œils,
et forme une sorte de paumelle qui remplace le système de gonds indiqué
dans les précédents exemples.
On ne renonçait pas absolument, pendant le XVe siècle,
aux fers soudés et étampés dans la fabrication des pentures, car il
existe encore bon nombre de ces ouvrages qui, sans atteindre la
perfection et l'importance de ceux des XIIe et XIIIe siècles, fournissent des objets de serrurerie fort recommandables.
Si cette penture (fig. 19), dessinée à Thann (Haut-Rhin), est
dépourvue de ces embrasses et de ces nerfs rapportés sur les soudures
des ouvrages du XIIIe siècle; si elle est en grande partie
obtenue par les moyens de découpage à chaud indiqués figure 16, ses
fleurons d'extrémités sont soudés cependant aux tigettes, puis étampés
et burinés après l'étampage.
Sa composition, d'ailleurs est gracieuse, et bien entendue pour
maintenir ensemble et sur une grande surface les frises du vantail. Le
burinage et le découpage, vers le milieu du XVe siècle,
prenaient, dans les ouvrages de serrurerie, une importance d'autant
plus grande, que le martelage à chaud était plus négligé. Ce qui tend à
dire que les outils se perfectionnant, la main de l'ouvrier perdait de
son habileté.
L'œuvre de Mathurin Jousse fait assez connaître, cependant, qu'au commencement du XVIIe
siècle encore, les maîtres serruriers avaient conservé les traditions
de l'art du forgeron; et les renseignements que donne cet auteur sur
les diverses natures de fer, sur la manière de traiter ce métal au feu
et sur l'enclume, sont le résumé d'observations très-justes et d'une
connaissance exacte de la pratique.
Ce qui mérite de fixer l'attention en dehors de la forme plus ou
moins bonne donnée aux ouvrages de serrurerie du moyen âge, c'est le
soin avec lequel tout est prévu pour que ces pièces aient exactement
les dispositions qui leur conviennent. Quand l'architecte monte les
pieds-droits d'une porte, il prévoit la place des scellements des
gonds, et si même la porte est d'une grande dimension, ces gonds sont
posés entre des assises, en bâtissant; quand il donne le dessin des
vantaux, c'est encore en prévoyant exactement la position de toutes les
ferrures, qui ne sont jamais dissimulées. Quand les ferrures sont
prêtes à poser, il n'y a plus d'entailles à faire dans le bois ou dans
la pierre, et chaque objet prend la place qui lui a été assignée dès le
commencement de l'exécution. Ainsi, par exemple, pour des portes
intérieures qui doivent battre exactement dans les feuillures, afin que
la saillie de la penture ne vienne pas empêcher l'application immédiate
du vantail contre le pied droit, le collet de la penture est souvent
détourné.
(Fig. 20.) Dans ce cas, la dernière frise de la porte A a été
rapportée après coup et maintenue avec les autres frises par des
prisonniers, et sur le collet de la penture par un dernier clou B, rivé
en dehors, au lieu d'être, comme les autres, rivé en dedans. Cette
disposition existe déjà dès le XIIe siècle. Aussi le vantail
peut-il exactement battre dans sa feuillure, sans qu'il soit nécessaire
d'entailler le tableau pour loger la saillie du collet de la penture.
Il n'est pas de détail insignifiant, quand il s'agit de faire
concorder les divers corps d'états à cette œuvre commune qu'on appelle
l'architecture. Les belles époques de l'art sont celles où le maître de
l'œuvre sait prévoir, dès l'origine de la structure, toutes les
parties, sait leur assigner une place sans avoir à retoucher ce qui est
fait. Si le dernier objet à placer dans un édifice en construction
prend exactement, à l'heure dite, la position qu'il doit occuper, le
constructeur est un maître. Il ne saurait se donner cette qualité, si
son œuvre ne s'élève qu'à l'aide de tâtonnements de changements
perpétuels, de repentirs; s'il lui faut, pour poser ses derniers
ouvrages, tels que la menuiserie et la serrurerie fine, recouper par
ici ou recharger par là. Tous ces tâtonnements sont bons sur le papier,
non sur le monument.
En laissant apparente toute la serrurerie fine, les maîtres du moyen
âge étaient bien forcés de lui donner sa vraie place comme sa véritable
forme. De plus, il leur était aisé de reconnaître si l'ouvrage était
bien fait. Quand nous entaillons aujourd'hui des équerres, des
pentures, des attaches de paumelles, des bandes, dans la menuiserie, et
que tout cela est recouvert de trois couches de peinture, il est assez
malaisé de reconnaître si ces fers ont l'épaisseur voulue, si les vis
sont bien posées, et si elles ne sont point enfoncées comme des clous à
coup de marteau. L'architecte, en mentant sans cesse à la forme, à la
destination vraie, est la première dupe de son propre mensonge. Il est
arrivé à si bien dissimuler toute chose, qu'on le trompe aisément sur
la quantité ou la qualité, ou qu'on se dispense de mettre en place ce
qu'il cherche si bien, lui-même, à cacher aux yeux.
Mais retournons à nos forgerons. S'ils ont façonné les pentures avec
un soin particulier, ils n'ont pas moins attaché d'importance à la
parfaite exécution des gonds qui les suspendent. Ces gonds sont forgés
avec le meilleur fer, bien centrés, et presque toujours légèrement
coniques.
Nous avons dit que pour les grandes portes battant en feuillure, les
gonds sont posés en même temps que les assises des pieds-droits, dans
un lit, afin d'être bien assurés du scellement. Pour les portes de
moindre importance, qui doivent se développer entièrement dans des
intérieurs, la feuillure étant près du parement (fig. 21), en A, le
mamelon du gond doit être assez isolé pour permettre le développement
total du vantail; de plus, il n'est guère possible de le sceller
diagonalement dans l'angle A, parce qu'on risquerait de faire éclater
la pierre du parement. Souvent alors ces gonds sont disposés ainsi que
le montre notre figure. Le mamelon est muni d'une queue B avec
scellement inférieur en b, qui forme ainsi comme une sorte de console, dont le dévers est arrêté par le piton c passant dans le mamelon, sous l'œil de la penture. En D, est tracée la face de la penture sur la traverse haute t
de la porte. En E, est tracée la coupe de cette traverse et des frises
avec leurs couvre-joints. Par ce moyen, le poids de la porte ne
risquait pas de faire fléchir l'embase du gond ou d'arracher son
scellement. Quand il s'agit de développer un vantail de volet ou de
porte sur un parement éloigné de la feuillure, comme dans l'exemple
fig. 22, en A, le mamelon du gond devant être placé en a, au milieu de la distance bc,
il est clair que, non-seulement le collet de la penture doit être
détourné en équerre, mais que l'embase du gond doit être très-allongée;
alors le scellement en d ne saurait avoir aucune puissance. Le mamelon m est donc forgé à l'extrémité de la console C, qui porte son scellement e; puis un piton p entre dans la partie inférieure du mamelon, est scellé en s, et sert de rondelle à l 'œil de la penture g: de cette façon le vantail V se développe en V', sans fatiguer l'embase allongée du mamelon et sans risquer de la desceller.
Ces exemples suffiront pour faire voir comment, dans ces ouvrages de
détail, l'architecte du moyen âge apporte le soin, le raisonnement,
l'attention, la logique qui président aux ensembles. Si le besoin, si
la vérité, exigent l'emploi de dispositions qui attirent le regard et
qui prennent de l'importance, on ne cherche pas à dissimuler ces
dispositions, mais à les décorer, en leur donnant l'apparence qui
signale le mieux leur raison d'être. C'est ainsi que l'art s'introduit
dans tout, qu'une architecture se forme, parce qu'elle affirme sans
cesse les principes vrais et sincères qui la dirigent.
Nous nous occuperons des fermetures des huis et des autres pièces de
serrurerie qui sont fixées sur les vantaux des portes, soit pour les
maintenir fermées, soit pour les tirer à soi.
(loquets, poignées, serrures à bosse, targettes, verrous, verte-velles).
Les plus anciennes serrures que nous connaissions ne datent guère que du XIIe siècle: ce sont des serrures dites à bosse, c'est-à-dire dont la boîte, relevée au marteau, avec bords en biseau, est posée sur un pallâtre8, et dont le pêle9 ou la gâchette est en dehors du pallâtre, de telle sorte que la bosse est à l'extérieur du vantail et le pêle à l'intérieur.
L'entrée alors est percée dans le pallâtre, au-dessus du pêle.
La figure 23 présente une de ces serrures10.
Le pêle A glisse entre deux filets rivés sur l'entrée et est maintenu
par deux embrasses B également rivées. La gâche G reçoit le bout de ce
pêle, lorsqu'on ferme la porte. Une poignée mobile P sert à tirer la
porte, lorsque le pêle est sorti de la gâche G. Le petit bouton C sert
à tirer le pêle, ou à le pousser, lorsque l'on a tourné la clef pour
lever le cramponnet. La boîte ou bosse est entaillée dans le vantail V.
Des filets sont rivés sur le pallâtre pour le renforcer et aussi pour
guider la clef, si l'on veut ouvrir la porte dans l'obscurité. Bien
entendu, tout ceci est posé à l'intérieur. Si la porte est épaisse, la
boîte est noyée dans cette épaisseur et ne se voit point
extérieurement. Si le vantail est mince, le fond de cette boîte est
apparent à l'extérieur. Ces sortes de serrures n'ont généralement
qu'une seule entrée. La figure 24 présente le mécanisme très-simple de
ces serrures. La boîte est circonscrite par les lettres abcd. Le pêle intérieur p
tient au pêle extérieur P' par deux forts rivets qui glissent dans une
coulisse percée à travers le pallâtre, quand on veut ouvrir ou fermer
la gâchette au moyen du bouton dont nous avons parlé tout à l'heure. Si
l'on veut que le pêle ne puisse plus glisser, un tour de clef fait
descendre le cramponnet c, ainsi que l'indique la figure, et
arrête ce pêle. Si l'on veut que la gâchette P' puisse demeurer mobile
comme un verrou, un tour de clef de e en f appuie sur le ressort r,
et dégage le cramponnet, qui, étant relevé, permet le jeu du pêle
intérieur. Rien n'est plus simple que ce mécanisme, encore employé
aujourd'hui. Ces serrures à gâchette sont les plus ordinaires, et ne
changent guère de forme jusqu'au XVe siècle.
Alors le pallâtre qui sert d'entrée, et sur lequel glisse la
gâchette visible à l'extérieur, est parfois décoré d'ornements de fer
battu et finement découpés. Entre ces ornements de fer battu et le
pallâtre, est apposé un morceau de drap rouge maintenu par les rivets
qui retiennent les découpures.
Il existe encore beaucoup de serrures de ce genre, et nous en
donnons (fig. 25) un exemple provenant d'une des grilles de la crypte
de Saint-Sernin de Toulouse11. Ici la gâchette est enfermée dans une gaine ou coque (voy. la coupe en ab).
En A, est le bouton en forme de coquille, qui permet de faire mouvoir
le verrou, lorsque le tour de clef est donné. On aperçoit les petits
rivets qui servent à fixer les feuilles de fer battu sur la plaque du
fond d. Le morceau de drap interposé est donc visible entre les
découpures. Les bords du pallâtre sont, comme dans les exemples
précédents, renforcés par une baguette en façon de torsade. En B, est
la poignée de tirage, et en C, le profil du bouton A. Ce genre
d'ornementation produit beaucoup d'effet à peu de frais, car rien n'est
plus aisé à faire, pour un ouvrier habile, que ces feuilles de fer
battu et modelé au marteau, à froid. Dans cet exemple, pas de soudures,
tout est rivé, excepté le bouton A et l'embase de la poignée. Les
petites feuilles de la poignée B elles-mêmes sont maintenues à la
boucle par des langues-de-carpe latérales, qui ont été prises
dans des grains d'orge, en courbant le fer de la boucle à chaud, avant
de souder ses extrémités à l'embase. Mais, avant d'aller plus loin, il
est nécessaire de dire que ces sortes de frémures à gâchette n'étaient pas les seules serrures fabriquées pendant le moyen
âge. La serrure à bosse, avec pêle manœuvrant intérieurement au moyen de la clef, comme ce que nous appelons aujourd'hui serrures à pêne dormant, était déjà en usage vers le milieu du XIIe siècle. Il y avait de ces serrures à un ou deux tours; elles étaient de celles qu'on appelle treffières, c'est-à-dire ne pouvant s'ouvrir que par un côté, ou quelquefois bénardes,
c'est-à-dire ayant deux entrées. La serrure que nous donnons ici (fig.
26), et que nous avons trouvée encore attachée à la porte d'une maison
d'Angers datant de la fin du XIIIe siècle, est à deux entrées. La porte, battant en feuillure, sans bâti dormant, et cette feuillure étant large et profonde (0m,05, voyez en a);
pour que la main ne soit point gênée par le tableau lorsqu'on tourne la
clef, la boîte de la serrure est éloignée de la rive de la porte (voyez
la section horizontale A), et le pêle glisse dans une gaine ou coque
extérieure B, avant de s'engager dans la gâche C. La serrure est posée
à l'intérieur du vantail, et, à l'extérieur, est une entrée de fer
battu. La coque du pêle D est, par conséquent, posée de même en dedans
du vantail. La boîte ou bosse, biseautée sur trois côtés, est rivée au
pallâtre E, lequel est maintenu sur le vantail par un grand nombre de
clous passant par les trous percés dans ses débords découpés. Les
rivets qui maintiennent les ressorts et leurs brides sont piqués dans
le pallâtre, mais ceux des estoquiaux sont rivés également sur la bosse
de la serrure, et se combinent avec sa décoration, consistant en des
brindilles, des filets et des gravures. Une brindille en forme de V
guide le panneton de la clef dans son entrée; une autre brindille,
soudée à sa base sur un filet inférieur en torsade, donne de la force à
la boîte et de la prise aux rivures des estoquiaux, car alors on
n'employait point de vis dans les serrures.
En G, est présenté l'intérieur de la serrure; en b, l'entrée du panneton avec ses fouets piqués sur le pallâtre; en c, les estoquiaux qui servent à maintenir la bosse de la serrure sur le pallâtre; en d, le pêle avec ses cramponnets et ses ressorts. Le pêle est supposé fermé à un tour.
Dès le XVe siècle, on trouve déjà des serrures dites à clenche ou loquet.
Ces serrures possèdent, outre le pêle dormant, un loquet monté sur le
pallâtre, au-dessous du pêle, et s'ouvrant au moyen d'un bouton ou
d'une bascule. Il existe encore une serrure de ce
genre sur la porte de fer qui donne entrée dans le cabinet de Jacques
Cœur, dépendant de l'hôtel de ce nom, à Bourges.
Sur le pallâtre est monté un pêle dans le genre de celui décrit
ci-dessus, mais à un seul tour, et au-dessous du pêle manœuvre un
loquet à ressort, s'ouvrant du dedans par une bascule, mais pouvant
s'ouvrir du dehors que par une clef; si bien que du dehors, tirant la
porte à soi, elle est fermée sans qu'il soit besoin de donner un tour
de clef pour pousser le pêle dans la gâche.
Il existait même des serrures qui ne se
composaient que d'un loquet pouvant, au besoin, être rendu immobile, et
qui tenaient lieu de nos serrures appelées à tour et demi.
Voici (fig. 27) une assez jolie serrure de ce genre, datant de la fin du XIVe siècle, et que nous avons dessinée sur une porte d'une maison de la ville de Lalinde (Dordogne). Le mécanisme que donne notre figure se compose d'un loquet à fléau A monté sur un tourillon a. Un ressort B maintient ce loquet dans la position horizontale; alors son extrémité c
est engagée dans une gâchette retournée et montée sur le dormant ou
dans la feuillure. Si l'on veut que la porte reste fermée comme elle le
serait au moyen d'un pêle, on donne un tour de clef de d en g, et alors on a fait descendre le râteau h de telle sorte qu'il appuie sur la queue du loquet en i; dès lors ce loquet ne peut basculer. Si l'on veut que le loquet reste mobile, on donne un tour de clef de g en d. Le râteau h se relève en pivotant sur son axe s, et le fléau est mobile, comme l'est le pêle d'une serrure demi-tour. Il suffit de relever la queue e du fléau pour que son extrémité c
échappe la gâchette. Poussant le vantail, la serrure se ferme seule.
Voici (fig. 28) la boîte de cette serrure à clenche. On voit en A la
queue du fléau qui, dépassant la boîte ou bosse de la serrure, permet
de faire échapper le pêle a de la gâchette b que nous
avons figurée au-dessous de sa place pour faire voir l'extrémité du
fléau. La bosse de la serrure étant posée en dedans de la pièce, il y a
en dehors une bascule B' (B' en profil), qui permet de relever la queue
du fléau lorsque le tour de clef ne l'a pas rendu immobile dans sa
gâchette. En D, est tracée la platine sur laquelle est montée la
bascule B. Comme dans les exemples précédents, les ornements qui
garnissent la bosse reçoivent les rivures des pièces intérieures et
leur donnent plus de force que si elles étaient faites simplement sur
le fond de la boîte. Les bords de celle-ci sont encore garnis de filets
saillants dentelés au burin, qui lui donnent une grande résistance.
Ces ouvrages de serrurerie ne sortent pas de
l'ordinaire, et nous les choisissons exprès parmi les exemples de
fabrication commune. Nos musées renferment encore bon nombre de
serrures du XVe siècle qui sont d'une richesse de
composition et d'une perfection d'exécution bien supérieures à ces
derniers exemples. Mais nous ne devons envisager l'art de la serrurerie
qu'au point de vue de son application à l'architecture, et, par
conséquent, ne pas chercher à reproduire des œuvres exceptionnelles
réservées pour des meubles de luxe. Il s'agit de faire ressortir les
procédés de fabrication employés par les serruriers pendant le moyen
âge, et de donner l'idée des formes qu'ils avaient su donner à la
matière employée.
C'est peut-être dans les ouvrages de serrurerie
que l'on trouve l'expression la plus nette de l'esprit logique des
artistes et artisans du moyen âge. Le fer n'est point une matière qui
se prête facilement aux à-peu-près. Dans l'art du serrurier, chaque
partie doit avoir sa fonction, posséder le degré de force nécessaire,
sans excès, car le travail de ce métal est cher et pénible, surtout si
l'ouvrier ne possède aucun des engins puissants qui sont aujourd'hui à
notre disposition, et qui trop souvent viennent suppléer aux défauts de
conception du maître ou à la maladresse du forgeron.
Quand le serrurier n'avait ni la lime, ni les
machines à raboter, ni les cylindres, ni même la vis, et qu'il lui
fallait assembler des pièces offrant une très-faible prise, son esprit
était naturellement porté à s'ingénier, à chercher des procédés
compatibles avec la matière et la façon de l'employer. Nous ne
prétendons pas dire qu'il faille repousser les moyens mécaniques que
fournit l'industrie moderne, mais il est fâcheux souvent que l'étendue
et la puissance de ces ressources rendent l'esprit du constructeur
paresseux, s'il s'agit de combiner des ouvrages de serrurerie en raison
de la matière et des principes de structure que sa nature impose
forcément.
Les habitudes introduites dans l'architecture, depuis le XVIIe
siècle, par le faux goût classique, nous ont appris, avant toute chose,
à mentir. Simuler la pierre ou le bois avec le plâtre, le fer forgé
avec la fonte, la charpente de bois en employant la ferronnerie;
dissimuler les nécessités de la structure; torturer toute matière pour
lui donner une apparence qui ne lui convient point, c'est à peu près ce
en quoi consiste l'art de l'architecte pour un certain nombre
d'artistes et pour une grande partie du public; et il faut avouer que
les développements de l'industrie appliquée aux travaux de bâtiment
favorisent ces supercheries. Ayant moins de ressources matérielles à
leur disposition, nos artisans du moyen âge étaient bien forcés de
demander à leur intelligence ce que ne pouvait leur fournir une
industrie dans l'enfance. Au total, l'art n'y perdait pas. L'œuvre de
pacotille, vulgaire quant à la forme, vulgaire quant à la conception,
n'existait pas et ne pouvait exister. Elle était simple ou riche,
pauvre ou luxueuse, mais elle était toujours le produit d'un effort de
l'intelligence développée en raison de l'objet propre, et cet effort se
reproduisait chaque jour, et chaque jour avec un perfectionnement ou
une plus complète expérience. Il ne s'agissait pas de livrer à une
machine un morceau de matière qu'elle rend brutalement sous la même
forme, il fallait que l'intelligence et la main de l'artisan se missent
à l'œuvre; et ne fût-ce que pour obéir à ce sentiment naturel à l'homme
qui le pousse à chercher sans cesse le mieux, cet artisan, même en se
copiant, introduisait sans cesse dans son œuvre, soit une idée plus
complète, soit un calcul plus judicieux, soit une exécution plus
logique, plus simple et plus près de la perfection. Nous ne demandons
pas qu'on brise les machines, mais nous voudrions qu'elles ne prissent
pas la place de l'intelligence.
Plus la matière est revêche, plus, lorsque
l'homme la travaille, doit-elle s'empreindre de la marque de sa
volonté. Elle n'exprime la puissance de cette volonté que si l'artisan
tient compte des propriétés mêmes de cette matière, que s'il la rend
docile en manifestant clairement ces propriétés. Si l'homme, à force
d'industrie, parvient à nous faire prendre un morceau de fer pour un
morceau de bois, et, du détail à l'ensemble, une œuvre de ferronnerie
ou de charpente pour une œuvre de maçonnerie, nous disons qu'il emploie
mal son intelligence, et qu'il abuse de la matière au lieu de
l'utiliser.
Dans tous les exemples de serrurerie présentés
plus haut, on a pu observer que jamais les pentures, les attaches ou
entrées des serrures, etc., ne sont entaillées dans la menuiserie. Le
bois reste intact, la serrurerie se pose à la surface sans l'entamer.
Il y avait dans cette méthode un avantage au point de vue de la
fabrication, c'est qu'il fallait que ces ouvrages de serrurerie,
destinés à rester apparents, fussent façonnés avec soin et fussent
solides: au point de vue de l'art, l'avantage était au moins aussi
important, car l'artisan s'ingéniait à trouver les combinaisons
décoratives convenables en raison de la matière, de l'objet et de la
place. La forme adoptée, étant vue toujours, devait être
agréable et indiquer la fonction. Si, au contraire, on noie dans le
bois la plus grande partie des objets de serrurerie fine, ce que nous
appelons aujourd'hui la quincaillerie, il importe peu que ces objets
revêtent une forme convenable ou agréable; il devient même assez
difficile de reconnaître si ces objets sont bien fabriqués, ou
grossiers ou vicieux, car l'architecte ne peut voir une à une toutes
les paumelles, équerres, ou serrures d'un grand bâtiment, avant leur
pose. Les attaches de ces objets étant noyées dans la menuiserie, puis
recouvertes de peinture, les défauts sont masqués et ne se dévoilent
que par les accidents qu'ils occasionnent. Ainsi, en arrivant à
dissimuler une bonne partie des objets de serrurerie aux yeux, on a
provoqué les malfaçons, les négligences, la fraude. À menteur, menteur
et demi: c'est trop naturel. Pour satisfaire aux règles imposées par le
classicisme majestueux qui nous dominait si fort, l'architecte
dissimulait et dissimule encore des escaliers, des tuyaux de cheminée,
des conduites d'eau et (descendant aux détails) des ferrures
nécessaires. Jugeant, non sans raison, que ce qui doit être dissimulé
ferait tout aussi bien de ne pas être, ou tout au moins de n'exister
qu'à l'état incomplet, les metteurs en œuvre ne se font pas faute de
falsifier ou d'omettre cette marchandise qu'une majestueuse pudeur
voudrait soustraire aux regards. Aussi est-il souvent nécessaire,
aujourd'hui, de rappeler les serruriers dans une bâtisse nouvellement
terminée, pour réparer toute la quincaillerie si bien dissimulée sous
la peinture et même la dorure12:
car, après tout, il faut qu'une porte ou une croisée roule sur ses
gonds, ses charnières ou ses paumelles; qu'un verrou et une serrure
fonctionnent; que les vis aient de la prise, et les fers de la
quincaillerie une épaisseur convenable pour résister à l'usage.
Lorsque toutes les parties de la serrurerie fine étaient apparentes;
lorsque même, étant apparentes, elles contribuaient à la décoration,
force était de leur donner une forme en harmonie avec leur destination,
et de veiller à la bonne exécution d'ouvrages que l'œil le moins exercé
pouvait vérifier sans cesse. Moins préoccupés du majestueux que nous ne
le sommes, les maîtres du moyen âge cherchaient, pour les ouvrages de
quincaillerie, les combinaisons les plus simples, sans jamais les
dissimuler, et parfois ces ouvrages sont de véritables chefs-d'œuvre,
en ne considérant que la forme d'art adaptée à l'usage.
En fait d'objet de serrurerie, rien n'est plus simple que l'ancien
loquet à battant ou fléau; et cependant, pour qu'un de ces loquets
fonctionne bien et longtemps, il faut qu'une platine garnisse le
vantail, afin d'empêcher le frottement du fléau sur le bois; que la
bascule ou pouçoir agisse sans effort sous la pression du doigt; que le
fléau ait un poids convenable pour retomber dans son mentonnet, etc.
Dans l'exemple que nous donnons ici (fig. 29)13,
le fléau pivotant sur le boulon A, muni d'une double rondelle, l'une
sur le bois, l'autre sous la tête du boulon, tombe dans son mentonnet
B, si l'on pousse le vantail, en glissant sur le plan incliné de ce
mentonnet. Un support C, rivé à la platine, muni d'un double œil,
reçoit le pouçoir D. À l'extérieur, un autre pouçoir E, figuré en E',
passe à travers le vantail, et vient poser son pied-de-biche
sous le fléau, à côté de celui de l'intérieur. Du dehors il suffit
d'appuyer sur le pouçoir E et de pousser la porte, pour l'ouvrir; mais
à l'intérieur, comme il faut tirer le vantail à soi, le support C
permet de passer l'index entre lui et la platine, d'appuyer le pouce
sur le pouçoir D, et de tirer la porte en même temps que l'on fait
lever le fléau. La platine est découpée de façon à composer une
ornementation qui s'accorde avec la place des clous. En G, nous donnons
deux autres formes de pouçoirs, et en H, deux pouçoirs qui, au lieu
d'être posés l'un à côté de l'autre, agissent, celui du dehors sous le
pied-de-biche de celui du dedans.
Quoique presque toute la quincaillerie ancienne ait été détruite, il
nous en reste encore des exemples assez nombreux pour faire connaître
avec quel soin relatif elle était, traitée même dans les bâtisses les
plus ordinaires. Des serrures, des poignées, des loquets que l'on
découvre encore attachés à de vieilles portes de maisons, d'hôtels et
d'églises du moyen âge, dévoilent une industrie pleine de ressources.
La variété des formes de ces objets est assez grande pour qu'il nous
soit impossible de présenter à nos lecteurs un spécimen de chacun
d'eux; nous devons nous borner aux plus essentiels. Peut-être même
pensera-t-on que nous nous étendons trop sur ces ouvrages de serrurerie
fine; mais on est si disposé à croire à l'imperfection grossière des
industries du moyen âge, qu'il nous a paru nécessaire d'en montrer les
produits, non point destinés à des monuments luxueux, mais à des
habitations ordinaires. L'industrie de la quincaillerie était
très-développée déjà en France au XIVe siècle, mais aussi en
Suisse, en Bavière, en Bohême, sur les bords du Rhin, tandis qu'à cette
époque elle était encore restée barbare en Italie. Ce ne fut que vers
le milieu du XVe siècle que les villes italiennes se mirent
à leur tour à fabriquer des objets de fer d'une grande finesse
d'exécution et d'une assez bonne composition. Il faut dire cependant
que jamais, dans la Péninsule, cette belle industrie ne sut allier
l'art à la nécessité, au besoin, comme surent le faire les artisans de
France. Les formes de la serrurerie fine d'Italie, très-heureuses
souvent, ont le défaut de ne s'accorder nullement avec l'objet. Pour
notre part, dans tout ce qui touche à l'art de l'architecture, nous
pensons qu'une exécution séduisante seule, si le raisonnement n'est pas
intervenu, si la concordance entre la forme et le besoin tracé fait
défaut, ne saurait constituer une œuvre complète. Nous avons pour nous
les Grecs de l'antiquité; tous les objets qu'ils nous ont laissés sont
profondément pénétrés de ce double caractère: une expression très-vive
et très-juste; une exécution en rapport avec l'objet et sa destination.
Cette serrure à bosse et à pêle dormant (fig. 30), dont le pallâtre
est découpé de manière à bien s'attacher au vantail, dont la face
externe est décorée de feuilles de fer battu, avec tigettes guidant la
clef dans l'entrée, avec embase renforcée pour résister à une pesée,
ainsi que le fait voir la section A, a certainement une forme
parfaitement appropriée à l'objet et à la nature de la matière
employée. Ces feuilles donnent de la prise aux rivures du mécanisme, et
décorent la plaque de tôle en la mariant, pour ainsi dire, au bois
qu'elle recouvre. L'entrée B, légèrement entaillée dans le vantail,
ainsi que le montre la section C, n'est-elle point une jolie
composition indiquant bien la matière employée, se prêtant exactement à
la fonction qu'elle remplit? Les artisans du XVe siècle qui
ont fabriqué ces objets usuels ne nous font-ils pas voir qu'ils ont
raisonné, qu'ils ont laissé sur ces morceaux de fer assemblés la trace
de leur intelligence et de leur goût14?
Cet anneau de tirage (fig. 31), dont le fond, sous les feuillages de
fer battu, est garni de drap rouge, n'est-il pas une composition
charmante, décorative15? Un morceau de drap rouge garnit également le fond sous le feuillage de l'embase de la serrure précédente (fig. 30).
Outre les divers genres de serrures dont nous venons de présenter
des exemples, on employait encore, pour fermer les vantaux de grandes
portes, de longs verrous, avec moraillon. Ces verrous, poussés en
dedans, ne pouvaient, bien entendu, s'ouvrir du dehors, comme les
serrures à double entrée. Ils servaient à barrer les portes
charretières, les grandes portes d'églises, les vantaux de portes
d'enceintes, et ne laissaient rien apparaître au dehors. La barre
horizontale, formant verrou, glisse dans deux pitons ou deux embrasses
fortement attachées au vantail, et s'engage dans une gâche, si le
vantail bat en feuillure, ou dans un troisième piton, si les vantaux
sont doubles. Le verrou poussé, l'auberon du moraillon tombe dans une
auberonnière percée dans la boîte de la serrure, au-dessus de l'entrée.
Un pêle passe dans l'auberon au moyen d'un tour de clef, si l'on veut
que le verrou reste fixe. Ces sortes de verrous avec serrure à bosse
avaient nom vertevelles. La figure 32 présente une vertevelle.
Le verrou A est forgé à pans et non cylindrique, ce qui facilite le
glissement dans les embrasses ou pitons. L'auberon est supposé entrer
dans l'auberonnière, et la serrure fermée. Si la porte est à un seul
vantail, à la place du piton B est une gâche scellée dans la feuillure
de pierre, ou fixée au dormant de bois. Après que l'embrassé B a été
coulée dans la barre, la tête C de celle-ci a été forgée et burinée.
Cette tête sert à tirer le verrou, lorsque le moraillon est soulevé. Un
arrêt E, forgé avec la barre, arrête le verrou, de façon que son
extrémité D ne puisse échapper l'œil de l'embrasse F.
Ces vertevelles ne sont pas rares, et beaucoup de vieilles portes en
possèdent encore. Celle-ci était placée à l'intérieur de la porte de
l'église de Savigny-en-terre-pleine (Yonne)16; mais le verrou tombait dans une gâche scellée au trumeau.
Outre ces verrous horizontaux formant barres, il fallait munir les
vantaux, qu'ils fussent simples ou doubles, de verrous bas, verticaux,
tombant dans une gâche scellée dans le seuil, tant pour empêcher les
vantaux de gauchir que pour rendre une effraction beaucoup plus
difficiles. Ces verrous se composent d'une barre de fer verticale
glissant dans deux embrasses rivées sur des platines. À sa partie
supérieure, la barre est munie d'un anneau mobile qui permet de la
soulever et de faire sortir son extrémité inférieure de la gâche.
La figure 33 présente un de ces verrous, dont la forme est bien connue.
Lorsqu'il est soulevé et qu'on ouvre le vantail, pour que la partie
inférieure de la barre ne traîne pas sur le sol, on passe l'anneau dans
le crochet A17.
On façonnait aussi des verrous hauts, pour maintenir la partie
supérieure du vantail, dont l'anneau était remplacé par un moraillon,
ou par un piton dans lequel entrait la barre du verrou horizontal. Mais
ces verrous hauts se manœuvraient difficilement, on leur préférait les
fléaux horizontaux ou verticaux.
On apportait, pendant le moyen âge, une attention particulière à la
ferrure des vantaux de portes fortifiées. Il n'est resté en place qu'un
bien petit nombre de ces ferrures antérieures au XVIe siècle; mais, par les scellements, on peut juger de l'importance des moyens de fermeture employés pendant les XIIIe, XIVe et XVe siècles pour les portes de villes et de châteaux. Certains vantaux18 étaient maintenus au moyen de deux barres de bois rentrant dans le mur, d'une barre fixe tenant à un vantail (voyez Barre),
d'un verrou haut, d'un verrou bas et d'une vertevelle. L'emploi
fréquent des engins de guerre pour lancer des projectiles, la manœuvre
des ponts à bascule, des ponts-levis, des herses, avaient familiarisé
les serruriers avec certains moyens mécaniques assez simples comme
principe, ingénieux cependant, puissants et pratiques. Alors on ne
songeait pas, comme aujourd'hui dans la serrurerie fine, à cacher les
mécanismes; ils étaient au contraire apparents, et à cause de cela même
d'un entretien facile. L'habitude que l'on avait prise, dans toute
place forte, de faire manœuvrer de grandes pièces de charpente avec
rapidité, exigeait une certaine précision dans les ouvrages de
serrurerie et une grande solidité. Les grands verrous à crémaillère,
pour fermer des vantaux de portes très-lourds et d'une hauteur de 4 à 5
mètres, étaient usités. Nous avons vu de ces verrous attachés, il y a
quelque vingt ans, à des vantaux de portes de villes, notamment à
Verdun. Il en existe encore en Allemagne, à Nuremberg. La figure 34
explique le système adopté. Un lourd verrou de fer carré est maintenu
au sommet du montant du vantail par quatre embrasses a. Sur les flancs de ce verrou sont fortement cloués deux paliers b, recevant entre eux un levier à engrenage c, lequel roule sur un axe d.
Deux dents d'engrenage tiennent au verrou et s'engagent entre les trois
dents du levier. À l'extrémité de celui-ci est un boulon traversant la
fourchette d'une tige t de fer tordu, descendant à portée de la main et terminée à sa partie inférieure par une poignée p, munie d'un moraillon e. En tirant la tige de haut en bas, on fait naturellement glisser le verrou, qui entre alors dans sa gâche g;
en poussant au contraire la tige de bas en haut, on fait sortir le
verrou de sa gâche. Quand le verrou est poussé dans sa gâche, on
enfonce l'auberon e du moraillon dans l'auberonnière d'une
serrure qui reçoit également l'auberon d'un verrou horizontal. Un tour
de clef empêche qu'on ne puisse faire manœuvrer et ce verrou et la
tige. Ce n'est là, de fait, qu'une sorte de crémone puissante dont le
mécanisme agit perpendiculairement à la face du vantail, au lieu d'agir
parallèlement à cette face. En A, est figuré le mécanisme en
perspective, la tige ayant été tirée de haut en bas pour faire glisser
le verrou dans sa gâche. Deux petits cylindres h, ou rouleaux
libres sur un axe, noyés dans le vantail, sous le verrou, empêchent le
frottement de celui-ci sur le bois, occasionné par la pression de
l'engrenage, et facilitent singulièrement la manœuvre, soit pour
ouvrir, soit pour fermer. La torsion du fer carré de la lige t
donne à celle-ci le roide nécessaire pour qu'elle ne ploie pas, si elle
est longue, lorsqu'il s'agit de la pousser de bas en haut pour ouvrir
le verrou. À coup sûr, tout cela n'est pas de la mécanique bien
avancée, mais c'est ingénieux, solide, apparent, facile à réparer, et
pouvant être exécuté par le premier forgeron venu.
On ne saurait trop regretter la disparition journalière de tous ces
objets de serrurerie du moyen âge dans nos anciens édifices civils,
religieux ou militaires. On en trouvait encore beaucoup il y a vingt et
trente ans; ils sont aujourd'hui devenus très-rares. Usés, hors de
service, attachés à des bois vermoulus, on les jette à la ferraille
habituellement, lorsqu'on fait des réparations. Il eût été cependant
intéressant et utile de recueillir ces objets dans un musée, qui serait
très-riche maintenant et fort instructif pour nos artisans de
ferronnerie. Mais nous n'en sommes pas arrivés à considérer les musées
comme des collections d'une utilité réelle pour notre industrie, ce ne
sont encore en France que des amas d'objets destinés à satisfaire la
curiosité des amateurs ou des archéologues, ou encore des lieux d'étude
pour les artistes, peintres et statuaires. L'art ne vit cependant chez
un peuple que quand il a pénétré partout, quand on le trouve aussi bien
sur la cheminée d'un grand seigneur que sur la table de cuisine de
l'ouvrier, sur le marteau de la porte d'un palais que sur la targette
de l'humble croisée du petit bourgeois, sur la poignée de l'épée du
général que sur la plaque de ceinturon du soldat. Si vulgaires que
soient les objets de serrurerie du moyen âge, l'art approprié à la
matière, y trouve sa place; l'art était un besoin pour tous, non une
affaire de luxe réservée pour quelques privilégiés. Ce qu'on ne
trouvait point alors, c'est l'art de pacotille, l'apparence du luxe
donnée à un objet de peu de valeur.
Nous avons montré un certain nombre d'exemples de fermetures de
vantaux de portes. Les exemples de fermetures de croisées sont beaucoup
plus rares; cette menuiserie, plus légère que celle des vantaux, plus
exposée aux intempéries, a été détruite plus rapidement. Il nous faudra
fouiller dans les vieilles ferrailles pour trouver quelques restes de
fermetures de croisées. L'intérêt qui nous a toujours paru s'attacher à
l'ancienne fabrication du fer, alors même qu'on vendait partout les
plus belles ferronneries forgées, pour leur substituer des fontes d'un
si triste goût, nous a poussé, il y a déjà longtemps, à recueillir bon
nombre de dessins de ces vieilles ferrures si fort méprisées, ferrures
qui ont disparu sous la main de la plupart des restaurateurs de
châteaux depuis trente ans. C'est ainsi qu'au château de Chastellux,
près de Carré-les-Tombes (Yonne), on voyait encore en 1839 des châssis
de croisées du XIVe siècle armés de leurs grands verrous. Il
est vrai que ces ferrures étaient hors de service, les châssis étant
complètement pourris et doublés par des volets fixes, mais les pièces
de leur mécanisme très-simple étaient toutes conservées. Ces
verrous..., plutôt ces crémones (fig. 35), consistaient en une tige de
fer méplat de 0m,02 (9 lignes) sur 0m,011 (5 lignes). À cette tige était adaptée une poignée a (voyez l'ensemble A). En bb,
la tige formait des boucles dans lesquelles passaient les queues en
volutes de deux loqueteaux. En haussant la tige, on faisait échapper
les loqueteaux de leurs mentonnets; en la baissant au moyen de la
poignée a, on faisait rentrer ces loqueteaux dans leurs
mentonnets: alors le pied de la tige, formant verrou, entrait dans une
gâche inférieure d. Des embrasses e retenues par deux pattes, et des embrasses f
retenues par une seule, maintenaient la tige et dirigeaient son
mouvement. Des détails vont faire saisir le système adopté dans la
façon de cette crémone. En B, est la section du montant du châssis,
avec la boucle de la tige en E, la queue du loqueteau passant dedans en
F, le boulon à clavette servant de pivot à ce loqueteau en C, et le
mentonnet en D. En G, est tracée la face d'un des loqueteaux avec sa
queue passant dans la boucle de la tige. Le tracé ponctué indique la
position que prend le loqueteau, lorsqu'on fait glisser la tige de bas
en haut par le moyen de la poignée P. En G', est tracée la coupe du
loqueteau avec la boucle de la tige, et en g le mentonnet. En H, est figurée une embrasse à deux pattes; en I, à une seule patte, la section de celle-ci étant en i.
On observera que ces embrasses à une seule patte sont ainsi façonnées
pour ne prendre que le plein bois du châssis. En K, est représentée
l'extrémité inférieure de la crémone avec son embase L servant de gâche
et clouée sur la traverse basse du dormant. Un tracé perspectif M
explique la position du loqueteau et de sa queue engagée librement dans
la boucle de la tige.
Cette crémone maintenait donc le châssis dans son dormant au moyen
de trois fermetures, deux loqueteaux latéraux et un verrou bas. À
l'aide des mentonnets et de la gâche inférieure, ce châssis pouvait
même être rappelé, s'il venait à gauchir. Le forgeron avait
donné à la poignée P une forme qui permettait de faire glisser la tige
aussi bien de bas en haut, pour ouvrir, que de haut en bas, pour
fermer. Les tiges étaient forgées assez grossièrement entre les parties
destinées à couler dans les embrasses, mais la poignée, les loqueteaux,
les embrasses, étaient façonnés au marteau et au burin avec le plus
grand soin.
La figure 36 présente divers fragments de serrurerie appartenant au milieu du XVe siècle environ. En A, est un débris de crémone dépendant très-probablement d'une croisée19; une poignée B, dépendant de la même crémone, faisait mouvoir les deux bielles a
attachées à un axe O, et, par suite, les deux tiges C C' en sens
inverse. En appuyant sur la poignée de haut en bas, la tige C s'élevait
et s'enfonçait dans une gâche supérieure; la tige C' s'abaissait et
tombait dans une gâche inférieure, comme le font les tiges de nos
crémones modernes. En D, est tracé le profil du mécanisme, avec le
boulon et sa clavette; en B', la face de la poignée; en E, une des
embrasses très-finement composées et forgées.
Une autre embrasse avec platine, appartenant également au XVe siècle et ayant dû servir à diriger une tige de verrou ou de crémone, est figurée en G20.
En H, nous présentons encore un excellent système de loqueteau à bascule employé fréquemment au XIVe et au XVe
siècle pour fermer de petits châssis de croisée. Le mentonnet est
entaillé et fortement cloué sur le côté du dormant, dans sa feuillure.
La main a une grande force pour ouvrir ou fermer ce loqueteau à
bascule, par le moyen de ce levier détourné, et saillant assez pour
éviter le froissement des doigts contre le bois du châssis. De plus,
ces loqueteaux rappellent très-énergiquement les châssis dans leur
feuillure.
Le tracé perspectif K donne une très-jolie poignée de porte de la
même époque et attachée sur un vantail intérieur de l'église
Saint-Pierre, à Strasbourg. Ces sortes de poignées, assez communes en
Alsace, se composent de deux tiges horizontales hh, qui passent à travers le vantail et sont rivées de l'autre côté sur une platine. Un cylindre de fer battu l,
orné de moulures et de divers ornements, est, d'autre part, rivé à ces
deux tiges horizontales. Un rinceau à travers lequel passent les tiges
tient lieu intérieurement de platine et est cloué sur le vantail. En L,
nous donnons le profil du cylindre, et en N le plan du bouquet
supérieur n, lequel est composé de deux petites plaques de fer
battu rivées en croix et formant bouton, et de quatre feuilles
découpées dans un cornet également de fer battu. Sur chacune des
folioles est rivée une fine tigette avec un bouton, à peu près comme la
graine du tilleul est attachée à son support. Tous ces derniers
ouvrages de serrurerie sont exécutés avec une grande perfection.
Il nous reste à parler, en fait de suspension
et de fermeture d'huis, des targettes, des paumelles, charnières,
équerres, etc. On donne le nom de targettes à de petits verrous adaptés
à des châssis de croisée, lorsqu'ils n'ont qu'une faible dimension; à
des vantaux de volets ou d'armoires. Très-rarement, pendant le moyen
âge, jusqu'au XVe siècle, les châssis de croisée avaient-ils
des dimensions dépassant en hauteur trois ou quatre pieds sur deux ou
trois pieds de largeur, puisque les fenêtres étaient divisées par des
meneaux verticaux et des traverses de pierre (voyez Fenêtre, Menuiserie).
Dès lors, pour fermer des châssis d'une dimension si médiocre, il
n'était besoin que de targettes, et l'emploi des crémones ou grands
verrous hauts et bas n'était guère commandé. Aussi les targettes
sont-elles beaucoup plus communes, dans les édifices publics ou privés
anciens, que les crémones ou fléaux. Quant aux fermetures auxquelles on
donne le nom d'espagnolettes, leur emploi ne date, en France, que du XVIIIe
siècle. Les espagnolettes remplacèrent, pour fermer les châssis de
croisée d'une grande dimension et à deux vantaux, les verrous hauts et
bas, les fléaux, les barres, les crémones combinées comme celles
présentées ci-dessus. Il ne faut point oublier que pendant le moyen
âge, on ne faisait pas de châssis de croisée à deux vantaux, puisque
les fenêtres étaient garnies de meneaux de pierre, si elles dépassaient
une dimension médiocre. Les crémones que nous avons données figures 35
et 36 étaient posées sur des châssis à un seul vantail, et les
retenaient dans leur dormant, ou simplement dans la feuillure de pierre
du meneau. De nos jours on a abandonné l'espagnolette pour revenir aux
crémones, qui ne sont point cependant d'invention moderne, et qu'on n'a
jamais cessé d'employer en Italie et dans certaines parties de
l'Allemagne.
Les targettes donc étaient la fermeture
ordinaire des châssis d'une petite dimension; on en plaçait une ou deux
dans la hauteur du battement, et quelquefois ces targettes fermaient en
même temps et la croisée et le volet intérieur, ainsi que nous le
verrons tout à l'heure. On trouve une grande variété de targettes, et
il semble que les serruriers se soient plu à donner à cet ustensile
vulgaire les formes les plus originales et les plus gracieuses.
Voici (fig. 37) quelques exemples de ces targettes fixées à des châssis de croisée. La targette A21
se compose d'une coque à section trapézoïde, dans laquelle glisse un
pêle à section pareille, ont les angles aigus sont abattus. La coque
est fendue sur sa face, de manière à laisser passer un piton tenant au
pêle auquel est rivée librement une poignée mobile. Deux
filets-embrasses, avec talons a, renforcent la coque le long de ses rives, et permettent de la fixer au battement de la croisée au moyen des pointes b
qui sont rabattues en dehors. Le pêle entre simplement dans une platine
à gâche fixée au meneau, car ici la croisée ne possède pas de dormant.
Cette autre targette B est dans le même cas: son pêle tombe dans une
platine à gâche; sa coque est maintenue, comme la précédente, à la
traverse du châssis par deux embrasses à pointes. La poignée, au lieu
d'être mobile, consiste en un animal finement forgé et buriné, qui,
étant bien en main, facilite le tirage ou la poussée22. En d, la targette est présentée de profil; en e, de face (l'animal étant supposé enlevé). Le tracé g
donne sa section. Le piton de la poignée mobile de la targette A et la
poignée fixe de la targette B sont rivés aux pêles avant que les
platines formant fond aient été elles-mêmes rivées aux coques: cela est
tout simple.
La targette C appartenait à un châssis de croisée muni d'un dormant, puisque la gâche h existe23, et était encore fixée à ce dormant. La poignée, en façon de jambe, est mobile (voyez la section l).
La coque n'a pas la forme d'un trapèze, mais d'un parallélogramme; elle
n'est plus fixée par des embrasses à pointes, mais par des clous
passant à travers les débords de la platine de fond, à laquelle sont
rivées les embrasses. Comme précédemment, cette platine de fond n'a été
fixée que quand le pêle a été ajusté dans le devant de la coque et que
le piton portant la goupille de la poignée a été rivé. Ces objets sont
délicatement travaillés, en bon fer et solidement faits.
Mais les châssis de croisée, pendant le moyen âge, étaient le plus
habituellement munis de volets intérieurs qui se fermaient par parties,
de manière à donner plus ou moins de jour dans les appartements (voyez Menuiserie,
fig. 20). Ces volets étaient ferrés sur les dormants, mais plus
habituellement sur les châssis ouvrants, de manière qu'il ne fût pas
nécessaire de développer le vantail préalablement, pour ouvrir la
fenêtre. Dans le premier cas, les targettes étaient disposées de telle
manière qu'il fallait absolument ouvrir les volets pour ouvrir la
fenêtre, afin de ne pas risquer, par inadvertance, de forcer les
paumelles ou les pivots du châssis de croisée; mais aussi ces targettes
fermaient-elles, au besoin, le châssis de croisée et les volets, soit
un, soit deux, suivant le besoin.
La figure 38 nous montre une de ces targettes24.
Cette fois, le pêle ne glisse pas dans une coque, mais, fendu dans sa
longueur, des deux côtés de la poignée, il laisse passer dans chacune
de ses coulisses deux clous-guides a, terminés par une pointe double rivée sur le bois de la traverse du châssis, en dehors. La gâche b est fixée au dormant, mais de façon que le pêle de la targette dépasse la largeur de cette gâche de la course ef. Ce pêle est muni de deux oreilles h h' (voyez la section en h) évidées par-dessous. Quand on veut fermer un volet v,
on a poussé la targette au bout de sa course, comme le montre le tracé;
on fait battre le vantail du volet, dont les angles sont munis de
pannetons p; puis on ramène la targette en arrière de la portion de course fe: alors l'oreille h' appuie sur le panneton p. Voulant fermer les deux portions de volets à la fois, l'oreille h
appuiera de même sur le panneton de l'angle inférieur du volet
supérieur. Il est clair que dans ce cas, pour ouvrir la fenêtre, il
faut ouvrir les volets, puisque l'épaisseur de ceux-ci empêche le pêle
de la targette de sortir de sa gâche. En A, est tracée la section de
cette targette avec l'un des volets fermés, et en B, la façon dont le
panneton est fixé par des clous à l'angle du volet.
Il n'est guère besoin de dire que, dans ces sortes de châssis de
croisée, il y a une traverse entre chaque volet, et qu'il y a autant de
targettes qu'il y a de traverses. Le pêle à coulisses glisse sur une
platine dont les débords d sont munis de clous.
Quand les volets sont ferrés sur le châssis de croisée, et non sur
le dormant, ils sont maintenus souvent par des targettes spéciales qui
permettent d'ouvrir la croisée sans développer les volets.
Voici encore (fig. 39) un système de fermeture de croisées avec volets, qui était adopté au XVe
siècle, dans les provinces du Nord, où, à cette époque, l'industrie de
la quincaillerie était fort développée. Ce système consiste en une tige
verticale (voyez l'ensemble du battement de croisée en A), munie à ses
extrémités de pignons qui font mouvoir deux targettes, l'une haute,
l'autre basse, à crémaillère. Des mentonnets, au nombre de quatre,
rivés à la tige, entrent dans des boucles attachées aux angles des deux
volets fermant séparément les deux panneaux vitrés de la croisée. Une
poignée permet de faire tourner la tige verticale sur son axe suivant
un quart de cercle. En tournant, cette tige pousse les targettes dans
leurs gâchettes scellées dans la feuillure de pierre, et engage les
mentonnets dans les boucles des volets, si l'on veut les fermer, comme
le faisaient les espagnolettes dont on se servait encore il y a peu
d'années.
En B, est tracée de face l'extrémité supérieure de la tige
verticale, avec son pignon, sa targette à crémaillère et l'un des
mentonnets. En C, la tige est présentée de profil avec le battement de
la croisée. En D, une section horizontale fait comprendre le mécanisme.
En E, est présenté un des pitons maintenant la tige et dans lesquels
elle pivote. On voit, en F, une des boucles des volets, et en G, la
poignée de face et de profil. Sur la section D est indiqué en aa'
le mouvement imprimé à la poignée pour faire pivoter la tige, pousser
les targettes, et faire tomber les mentonnets dans les boucles.
La tige verticale est renforcée aux points où elle reçoit, en
mortaises, les pignons, les mentonnets et la poignée, cette dernière
rivée. Entre les pitons dans lesquels elle tourne, cette tige, forgée
carrée, est tordue en spirale, ce qui lui donne du roide. En H, est
figurée une autre poignée dont l'attache vient saisir la tige et est
fixée par deux goupilles. Le fer, aplati en palette, est gondolé (voyez
la section horizontale h), puis enroulé autour d'un bâtonnet également
de fer.
Les pitons à deux pointes rabattues en dehors du battement (voyez en d) passent à travers une platine p
clouée sur le bois, afin que le mouvement de la tige ne puisse agrandir
peu à peu le trou pratiqué dans le montant. Aux extrémités, ces
platines reçoivent encore, en rivure, les embrasses des targettes
(voyez en g).
Ces ferrures, provenant de débris recueillis dans nos villes du Nord
et en Belgique, devaient présenter bien d'autres variétés; nous ne
pouvons avoir la prétention de les donner toutes, il faudrait pour cela
un traité spécial. Peut-être pensera-t-on que nous n'insistons que trop
sur cette branche de l'industrie du bâtiment? mais le peu d'attention
que l'on a prêté généralement à notre ancienne ferronnerie, dont la
forme est toujours si bien adaptée à la matière; l'ignorance qui a fait
jeter à la vieille ferraille tant d'objets propres à exciter
l'intelligence de nos artisans; les idées erronées que l'on entretient
parmi les architectes sur ces industries où nous aurions tant à
prendre; les abus que la facilité des moyens d'exécution introduit dans
la ferronnerie moderne, tout cela nous entraîne à multiplier les
exemples.
Nous dirons donc encore quelques mots sur les paumelles, charnières,
équerres simples ou à pivots, tous objets de quincaillerie de bâtiment
qui sont traités avec soin par ces artisans du moyen âge, et qui ont
une certaine importance.
Pendant le XIIIe siècle, les châssis des croisées étaient
le plus souvent dépourvus de dormants et battaient dans les feuillures
de pierre. On faisait ces châssis à pivots hauts et bas, entrant dans
des crapaudines ou douilles scellées dans la pierre même25. Chaque pivot était soudé à une équerre qui prenait le champ du châssis et se développait sur sa face intérieure.
La figure 40 représente, en A, une de ces équerres munie d'un mamelon ou pivot a.
L'équerre est renforcée au coude, entaillée sur les champs vertical et
horizontal du châssis, et déborde en saillie sur la face, au moyen des
petits talons b. En B, on voit une autre sorte de pivot dont
les bandes embrassent les deux faces intérieure et extérieure du
châssis, avec appendice formant équerre. La figure 41 présente une
véritable paumelle dont la partie A est clouée sur le dormant, et la
partie B sur le châssis ouvrant26.
Les platines de la paumelle sont vues, ajourées, découpées et gravées.
On reconnaissait alors les inconvénients des clous ordinaires, et le
serrurier avait le soin de poser deux clous à tête quadrangulaire et à
pointe plate, ainsi que le fait voir le détail a. Ces clous,
rivés en dehors, ne faisaient pas fendre le bois (leur pointe étant
plate, de champ, suivant le fil), et, au moyen de leur tête
quadrangulaire, maintenaient fortement les platines auprès du gond b et de l'œil c.
Lorsque les châssis ouvrants avaient une assez grande hauteur (six à
sept pieds), les paumelles étaient longues et munies de deux œils
espacés, pour empêcher le gauchissement des bois. La figure 42 retrace
une de ces paumelles ou charnières, qui paraît appartenir à la fin du
XIVe siècle ou au commencement du XVe27.
La fiche est libre entre les œils, vue, et est ornée d'une queue de fer
rond enroulée en spirale autour d'elle. Cette queue est libre aussi.
Pour dégonder le châssis, il suffit d'enlever cette fiche par le haut.
La figure 43 donne une paumelle A, une charnière B et une charnière
équerre C attachées à la porte d'une chapelle de l'église de Semur en
Auxois (voy. Menuiserie, fig. 15). La porte bat dans une feuillure de pierre et la paumelle A tourne sur un gond a
scellé. Les charnières réunis sont des vantaux brisés. À la place des
clous sont posées des brides munies chacune de trois pointes bifurquées
et rivées en dehors, ainsi que l'indique le tracé perspectif D. Ces
brides avaient l'avantage de maintenir parfaitement les platines, aussi
bien et mieux que ne le font les vis, et d'empêcher les paumelles ou
charnières de fatiguer leurs attaches par l'usage. Ces ferrures datent
du milieu du XVe siècle.
En G, est tracée une belle charnière équerre de la fin du XVe siècle28, qui est maintenue au moyen de deux barrettes verticales, dont on voit en g
le détail, clouées sur les platines afin de leur donner plus de
résistance et de rendre tous les clous solidaires. De petites pointes
fixaient en outre les découpures des platines sur le bois.
Très-probablement les pointes des clous passant à travers les barrettes
étaient rabattues ou rivées sur d'autres platines postérieures.
La renaissance produisit des ouvrages de quincaillerie d'une
perfection d'exécution rare. Nous n'en conservons qu'un assez petit
nombre en France, si ce n'est sur des meubles de cette époque. Au
contraire, l'Allemagne, la Belgique, la Suisse, possèdent un nombre
prodigieux de ferrures de la fin du XVe siècle et du commencement du XVIe, exécutées avec un art infini. Les grilles du tombeau de Maximilien, à Innsbruck, les clôtures des chapelles des cathédrales de Constance, de Munich,
sont de véritables chefs-d'œuvre de ferronnerie comme fabrication et
comme forme. On voit, par exemple, sur les montants de fer forgé de la
grille de clôture du tombeau de Maximilien, des ornements de fer battu
qui sont soudés au corps même du montant et non goupillés ou rivés.
Nous avons eu quelquefois l'occasion de signaler, même en France, ce
procédé de fabrication, entièrement perdu aujourd'hui, et fréquemment
employé à la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe.
Ces soudures ne consistent pas en une simple brasure au cuivre ou au
laiton. Aucun métal étranger au fer n'apparaît entre l'âme et le fer
battu apposé. Bien que celui-ci n'ait qu'une épaisseur de 1 ou 2
millimètres au plus, il adhère parfaitement à cette âme sur toute sa
surface.
Le fragment que nous donnons ici (fig. 44),
provenant de la grille du tombeau de Maximilien, explique ce procédé.
Les feuilles de tôle ou de fer battu soudées ont été repoussées
évidemment avant l'opération qui les a fait adhérer parfaitement à
l'âme, puisque, après cette opération, il n'eût été possible que de les
buriner, mais non de leur donner le modelé souple et doux du repoussage
au marteau.
[modifier] SERRURERIE D'ASSEMBLAGES
Nous n'avons présenté dans cet article que des ouvrages de
serrurerie soudés, découpés ou étampés, rivés par petites parties, tels
qu'il convient de le pratiquer pour les ferrures des huis.
On façonnait cependant de grandes pièces de forges assemblées,
telles que grilles, clôtures, ferrures de puits, etc. Ces ouvrages
exigeaient l'emploi de moyens particuliers pour assurer leur solidité.
Il ne s'agissait plus seulement de soudures ou de quelques rivures,
mais de combinaisons d'assemblages qui appartiennent exclusivement à la
serrurerie. On comprendra facilement que des hommes qui, dans toutes
les branches de l'architecture, savaient si bien adapter les formes à
la matière employée et à la mise en œuvre, aient cherché, dans les
grandes pièces de serrurerie, à n'admettre que des compositions d'art
se prêtant aux exigences du travail du fer. Alors les assemblages, les
nécessités de la structure, loin d'être dissimulés, apparaissent
franchement, deviennent les motifs de la décoration. L'artisan cherche
d'ailleurs à donner à son œuvre une raison d'être pour les yeux; il
entend quegue l'on en comprenne l'organisme, pour ainsi dire, qu'on
apprécie les efforts qu'il a faits pour allier intimement l'art à la
nécessité de structure, aux qualités propres à la matière employée. Que
ces façons de procéder ne soient pas du goût de tout le monde, qu'elles
ne frappent que les esprits aimant à trouver l'empreinte de la raison
dans les œuvres humaines, qu'elles gênent les natures paresseuses, nous
l'admettons; mais nous sommes forcés de reconnaître aussi que l'art ne
s'introduit réellement dans l'industrie que sous l'empire de principes
vrais, clairs, se résumant en ceci: soumission de la forme à la
nécessité, à l'emploi de la matière et aux qualités qui lui sont
propres.
Nous avons si bien perdu l'habitude du respect de ces principes, que
nous demeurons surpris devant des œuvres où la raison a commandé à la
forme, et que nous prenons pour une subtilité ou une complication
superflue une expression sincère. Cependant cacher un assemblage, par
exemple, cela est plus subtil et plus compliqué que si nous le laissons
apparent; c'est à coup sûr moins sincère; peut-être beaucoup moins
solide et d'une exécution plus difficile. Assembler en équerre deux
morceaux de fer carré au moyen d'un tenon, d'une mortaise et d'une
goupille, comme on le ferait pour de la charpente ou de la menuiserie,
cela ne présente rien de compliqué extérieurement, puisqu'on ne voit
rien du travail de l'ouvrier; mais cette façon, convenable pour du bois
qui se coupe facilement, qui a un fil, n'est pas justifiée si on
l'applique à des barres de fer d'une épaisseur minime, fort difficiles
à creuser ou à disposer avec tenons; de plus, un pareil assemblage est
toujours défectueux en ce que le tenon, très-menu, ne peut offrir assez
de prise pour donner à l'assemblage une grande solidité. Si au
contraire deux barres sont assemblées d'équerre, comme l'indique la
figure 45, en A, la barre horizontale munie d'un talon B entrant dans
une fourchette façonnée à l'extrémité de la barre verticale,
l'assemblage est simple, large, solide, bien approprié à la matière.
Que cet assemblage soit maintenu serré par un boulon à clavette
détaillé en C, qu'une rondelle plus ou moins riche s'interpose entre la
tête du boulon et la fourchette, la décoration de l'assemblage est
toute trouvée et n'est en réalité que l'emploi raisonné des moyens les
plus naturels nécessaires à la solidité de l'œuvre. Qu'il y ait lieu de
poser des barres verticales intermédiaires, la traverse horizontale
aura des œils renflés D, à travers lesquels passeront ces barres.
Si nous nous engageons dans la voie vraie, celle indiquée par la
structure, la décoration de l'œuvre est pour ainsi dire tracée. En
supposant que la grille doive être richement couronnée, le talon de la
barre horizontale, la fourchette de la barre verticale, les extrémités
des barres intermédiaires, fournissent des motifs d'ornementation qui,
loin d'altérer le principe de la structure, ne font que l'appuyer (fig.
46). Cet exemple suffit pour faire saisir la méthode suivie par ces
artisans serruriers du moyen âge. Ceux-ci ne font d'ailleurs, dans leur
métier, qu'appliquer les méthodes admises dans les autres branches de
l'architecture de cette époque; développer la forme dans le sens
indiqué par le besoin, la raison, la qualité de la matière. Et, de
fait, nous ne saurions trop le répéter, on ne possède un art de
l'architecture qu'à ces conditions.
Quand on examine des œuvres de serrurerie du moyen âge, on observe
que les fers sont, relativement à ceux que nous employons aujourd'hui,
légers; que ces ouvrages ont un aspect élégant, délié. Et en effet, une
des qualités que doit posséder la serrurerie, c'est la légèreté,
puisque la matière est très-résistante, sous un petit volume. Le fer
forgé cependant, s'il a une force considérable en agissant comme
tirant, comme lien, est flexible, n'a pas de roide, et ne peut,
debout, porter un poids assez lourd, à moins de lui donner une
épaisseur que ne comporte guère ce genre d'ouvrages et qui augmente la
dépense. C'est donc par des combinaisons d'assemblages que le serrurier
peut suppléer au défaut de roideur de ce métal. Le fer résiste à une
charge en raison du développement de ses surfaces, et (fig. 47) une
barre de fer de 0m,03, carrée, A, ayant une longueur de 2
mètres, qui ne pourra, posée verticalement, porter un poids de 1000
kilogrammes sans ployer, conservera son roide si elle est forgée à
poids égal, suivant les sections B. Posée horizontalement, il en sera
de même; la barre de fer résistera d'autant mieux à une charge, que ses
surfaces seront plus développées: c'est ce principe qui a fait admettre
dans nos constructions modernes les fers dits à T ou à double T pour
les planchers, les arbalétriers et pannes de combles. Nos serruriers du
moyen âge ne possédant pas les puissants cylindres d'usines qui
laminent le fer en barres côtelées, avec des ailes, suppléaient à cela
par des combinaisons, souvent très-ingénieuses, afin de conserver à
leurs ouvrages de ferronnerie la légèreté convenable.
Leurs grilles de clôture sont, par exemple, composées par panneaux
qui viennent s'embrever dans des montants rendus rigides au moyen de
renforts et d'arcs-boutants très-habilement agencés. Les barres
verticales destinées à porter sont tordues et quelquefois même
composées de deux ou trois brins. Si un fer à section carrée porte une
charge, il ploiera nécessairement, non suivant la diagonale du carré,
mais suivant une des faces. Faisant donc pivoter la diagonale du carré
sur son centre, on donne à une barre, dans toute sa longueur et sur
tous les points, la résistance que présente cette diagonale. C'est
pourquoi on trouve si souvent dans la serrurerie du moyen âge des fers
carrés, tordus, dont les angles de la section carrée forment des
spirales. Ainsi (fig. 48), une barre à section carrée A, posée debout
et soumise à une charge, ploiera suivant l'une de ses quatre faces;
mais si, au moyen de la torsion, la diagonale parcourt tous les points
du cercle inscrivant le carré (voyez en B), la barre résistera à la
charge non plus suivant la résistance d'un côté du carré, mais suivant
celle de la diagonale: or, celle-ci étant plus longue que l'une des
faces, la résistance sera plus considérable. À longueurs égales, la
barre tordue B sera plus lourde d'ailleurs et contiendra plus de
matière que la barre simple A, puisque les angles du carré sont obligés
de parcourir une spirale. À l'œil, cependant, la barre tordue sera plus
légère que la barre simple, à cause des surfaces concaves que
produisent nécessairement les faces du carré pivotant sur son axe.
Par les mêmes motifs, les serruriers du moyen âge composaient-ils
souvent des supports verticaux de fer, au moyen de deux ou même de
trois fers ronds tordus en façon de torsade; ainsi augmentaient-ils les
moyens de résistance sans augmenter sensiblement le poids des fers. Ces
sortes d'ouvrages demandant du soin, de l'adresse et un peu de
réflexion, il s'est trouvé qu'un jour--les corps de métiers ayant perdu
la force qui maintenait chez eux la main-d'œuvre à un niveau
élevé--quelques architectes ont trouvé préférable--plutôt que de
chercher sans cesse des formes raisonnées et nouvelles--d'admettre un
certain goût prétendu classique, une sorte de formulaire applicable à
toute œuvre et à toute matière (ce qui simplifiait singulièrement leur
travail), ont déclaré que toutes ces recherches, résultat de
l'expérience, de l'étude et d'une fabrication perfectionnée, n'étaient
qu'un produit du caprice ou de l'ignorance. Il n'est pas besoin de dire
que cette façon d'apprécier toute une face de l'art de l'architecture
et les industries qui s'y rattachent, devait être fort prisée par la
classe nombreuse des gens qui ne veulent pas se donner trop de peine.
Aussi la serrurerie du moyen âge fut-elle fort mal vue pendant ces
derniers siècles, et l'on trouva de bon goût de reproduire en fer
(comme on peut le voir à la grille de la cour du Mai à Paris) des ordres
avec leurs chapiteaux, leurs entablements, leurs stylobates, etc.; le
tout fabriqué en dépit de la matière et des moyens qu'elle impose à
ceux qui en connaissent les qualités et prétendent les utiliser.
Il y a, dans les assemblages de la serrurerie du moyen âge, un sujet
inépuisable d'enseignement. Par des motifs faciles à saisir, on préfère
aujourd'hui ne point appliquer le raisonnement aux choses qui touchent
à l'art de l'architecture; ce sont du moins les principes que
professent beaucoup d'artistes. Il est certain qu'à leurs yeux, ces
artisans du moyen âge, en raisonnant ainsi ce qu'ils faisaient, en
prenant toujours la structure comme motif de décoration, étaient dans
la mauvaise voie. Économes de la matière, ils arrivaient au but par les
moyens les plus vrais. Loin de cacher ces moyens, ils les montraient,
s'en faisaient honneur. En effet, quand un moyen est simple, pratique,
il n'y a pas lieu de le cacher; si ce n'est, au contraire, qu'un
expédient étranger à la nature de la matière mise en œuvre, qui ne
présente pas de garanties sérieuses de solidité, qui exige l'emploi de
ressources hors de proportion avec le résultat, on ne saurait trop le
dissimuler, et c'est ce qu'on fait habituellement dans notre serrurerie
fine de bâtiment.
Nous disions tout à l'heure que les serruriers du moyen âge,
lorsqu'ils avaient à fabriquer des grilles d'une certaine étendue,
procédaient par une suite de panneaux s'embrevant dans des montants.
Nous ne savons si ces artisans avaient observé et calculé les effets de
la dilatation du fer; il n'en est pas moins certain que par l'emploi de
cette méthode on évitait les inconvénients qui résultent de la mise en
place de grandes parties de grilles solidaires. Alors celles-ci,
s'allongeant par la chaleur ou se retraitant par le froid, causent des
mouvements incessants, dont le moindre danger est de briser les
scellements, de faire gauchir les montants, d'empêcher les battements
des parties ouvrantes de fonctionner, de fatiguer les assemblages. On
croit parer à ces inconvénients au moyen de tenons et de goupilles ou
de boulons gais, c'est-à-dire posés en laissant du jeu. Mais
cela ne peut se faire qu'aux dépens de la solidité de l'ouvrage. Au
contraire, le système de grilles posées par panneaux laissait aux fers
la facilité de se dilater, tout en conservant à l'ensemble une solidité
égale, quelle que fût la température.
Les montants principaux des grilles se composaient donc généralement
d'une âme avec deux jouées formant feuillures, dans lesquelles
s'embrevaient les panneaux. Il fallait, dès lors, que ces montants
fussent bien maintenus dans leur plan vertical dans les deux sens, au
moyen d'arcs-boutants ou de contrefiches scellées. Ces accessoires
nécessaires fournissaient, comme toujours, un motif de décoration.
Voici (fig. 49) un de ces motifs de montants, avec feuillures
propres à recevoir des panneaux de grille et avec arcs-boutants. En A,
est tracée la section du montant sur a b. L'âme c se compose de deux fers d'un pouce sur six lignes, laissant entre eux un intervalle de quatre lignes. Deux jouées d sont rivées à ces âmes. Le profil B fait voir que les jouées possèdent deux renforts e, formant larmiers et munis de talons en contre-bas, servant de butée aux deux arcs-boutants D. À partir du niveau g, ces arcs-boutants se divisent chacun en deux branches (voyez la face F en h),
de sorte que ces deux arcs-boutants ont quatre scellements propres à
empêcher le dévers du montant, soit dans le plan de la grille, soit
perpendiculairement à ce plan. En k et l, les
arcs-boutants et les jouées sont percés de trous barlongs dans lesquels
passent les doubles clefs chevauchées (détaillées en G), percées
elles-mêmes à leurs extrémités antérieures et postérieures pour
recevoir les clavettes H, au moyen desquelles tout le système est
fortement serré. Ces clavettes enfoncées, leur extrémité m est recourbée au marteau29.
Les armatures de puits présentent encore d'assez nombreux exemples
de belle serrurerie d'assemblages. Si la margelle du puits était
adossée à un mur, la poulie était suspendue à une potence scellée dans
ce mur. On peut voir encore une de ces potences à poulie attachée au
mur d'une maison du XVe siècle sise en face de la cathédrale de Moulins (fig. 50, en A). Les fers formant équerre et quart de cercle ont 0m,034 + 0m,041 (15 lignes + 18 lignes). Ces fers sont chanfreinés au marteau sur leurs arêtes (voyez la section b faite sur c d),
et ces chanfreins s'arrêtent au droit des assemblages. Les redents et
l'ornement du sommet sont rivés sur les bandes principales. Pour rendre
solidaires les trois redents du triangle, deux cercles g moisent leurs extrémités au moyen de rivets. Le redent supérieur h a son extrémité recourbée en boucle pour passer le rivet qui maintient les rosaces doubles de tôle l.
À l'extrémité de la bande horizontale, est un renfort K, qui reçoit une
tringlette verticale, sur l'extrémité coudée de laquelle est rivé un
petit toit de tôle m (a en plan), destiné à couvrir la
corde de la poulie au point où elle se trouve en contact avec le fer.
Cette poulie tourne au moyen d'une tête de boulon qui passe dans sa
bielle30.
On observera que les redents et même l'ornement du sommet ne sont pas
une simple décoration, mais ajoutent à la résistance du triangle de fer
en étrésillonnant ses côtés, et en formant au-dessus de la bande
horizontale comme une fermette. Aussi le serrurier a-t-il pu n'employer
que des fers d'un faible échantillon relativement à la longueur de la
potence et au poids qu'elle doit soutenir; or, cette potence fonctionne
depuis plus de quatre cents ans.
En B, est figurée une seconde potence, composée d'après un autre
système, mais présentant au moins autant de rigidité que la première.
Les fers des côtés du triangle donnent la section p, et ceux de l'intérieur la section q.
Dans le grain d'orge ménagé le long de ces fers, entrent les ornements
de tôle qui roidissent tout le système. Les fers du triangle et de
l'intérieur sont assemblés à tenons avec clavettes, ainsi que le montre
le détail s. Cette potence pivote dans deux pitons scellés à la muraille31.
Nous ne saurions trop insister sur ce point: dans les ouvrages de
serrurerie du moyen âge, on ne cherche pas à dissimuler les
assemblages. Les fers, au droit de ces assemblages, restent francs ou
prennent plus de force, comme nous l'avons montré dans l'exemple figure
45. On se garde bien de diminuer leur résistance là où ils fatiguent.
Outre les grilles disposées par panneaux s'embrevant entre des
montants, on faisait aussi des grilles par compartiments assemblés, et
cela par des moyens simples et solides. Cette grille (fig. 51) fournit
un exemple de ces sortes de combinaisons32. C'est un ouvrage du XVe
siècle. Il se compose de montants A scellés dans le pavé. Entre ces
montants, renforcés en B, sont serrées des traverses C, lesquelles
portent un petit tenon à chaque extrémité. La partie supérieure des
montants se termine par un fort goujon rivé sur la barre d'appui D. Des
cercles inscrivant des quatre-lobes sont inscrits entre les montants,
la traverse et la barre d'appui. Des demi-cercles remplissent la partie
inférieure. En a, b et c, sont tracées les sections de la traverse C, des cercles et des quatre-lobes; en d, est figurée l'extrémité des lobes. Des goujons rivés e
réunissent toutes ces pièces dont les sections hexagonales se prêtent à
une juxtaposition parfaite. Cet ensemble présente beaucoup de solidité,
est facile à assembler, et n'exige de soudures qu'à l'extrémité des
lobes et pour fermer les cercles. Les montants n'ont que 0m,024 de largeur sur 0m,042 d'épaisseur.
Les armatures de puits posées au-dessus des margelles présentaient
aussi des combinaisons d'assemblages de serrurerie intéressantes à
étudier. Dans les cours des châteaux, des monastères, au milieu des
carrefours, on voyait de ces belles ferronneries portant les poulies
des puits.
Malheureusement, presque tous ces ouvrages ont été détruits, et si
l'on en voit encore en place, c'est qu'ils ont été oubliés. À Sens, à
Troyes, à Semur, à Beaune, dans la cour de l'Hôtel-Dieu à Dijon, quelques débris de ces armatures existent aujourd'hui et datent des XVe et XVIe
siècles. D'anciennes gravures nous donnent aussi l'apparence de ces
ferrures de puits, mais n'en reproduisent pas les assemblages; nous
sommes réduit donc à citer un assez petit nombre d'exemples. Le premier
que nous donnons n'existe plus et ne nous est connu que par un dessin
de Garneray33. Cet ouvrage de ferronnerie paraît dater de la fin du XIVe
siècle, et se trouvait placé dans les dépendances du château de
Marcoussis. Le second se voit encore à Troyes, et le troisième dans la
cour de l'Hôtel-Dieu de Beaune; ces deux derniers appartiennent au XVe siècle.
La figure 52 reproduit l'armature du puits de Marcoussis. Cette
armature se composait de trois tiges de fer carré, avec arcs-boutants à
la base pour arrêter le hiement, c'est-à-dire le mouvement pivotant
qu'eussent pu éprouver ces trois barres. Celles-ci sont d'ailleurs un
peu inclinées vers le centre. Un cercle de fer battu les réunit à leur
sommet, et reçoit, en outre, des liens en redents qui donnent du roide
à tout l'ouvrage et maintiennent les trois pieds-droits dans leur plan.
Du cercle partent, au-dessus des barres, trois volutes pincées au
niveau a par des moises. Au milieu de ces trois volutes passe le poinçon b, auquel est suspendue la poulie. Le cercle, les moises des volutes et le poinçon étaient ornés de tôles découpées et rivées.
L'armature du puits de Troyes n'est pas d'une forme aussi gracieuse
que celle du puits de Marcoussis, mais sa composition et ses
assemblages méritent d'être signalés. La margelle A (fig. 53) est ovale
à l'intérieur, octogone irrégulière extérieurement. Trois montants sont
scellés sur cette margelle même, de façon à présenter en plan un
triangle à côtés illégaux, disposition qui permet à trois personnes de
puiser de l'eau en même temps. Deux personnes peuvent se placer en a et b, et la troisième en c.
Trois poulies sont suspendues à l'armature au moyen d'une sorte de
guirlande B attachée au poinçon, puis à deux barres horizontales
passant par les œils d, projetées en d' sur le plan A.
Les trois tiges formant pavillon D suspendent le poinçon, comme dans
l'exemple précédent, et sont maintenues au sommet des trois montants au
moyen d'une sorte d'embrèvement et d'un fort boulon à clavette G. Les
montants se composent de deux tiges rondes de 0m,02 de
diamètre chacune, tordues en manière de torsade; une bague E les décore
vers le milieu. À la base, au scellement, sur la margelle, ces montants
sont accompagnés chacun de deux œils (voyez le détail F) recevant les
boucles auxquelles on attachait le crochet de la corde, lorsqu'elle
était veuve des seaux, car chaque personne qui venait puiser, apportait
ses vases.
L'armature du puits de l'Hôtel-Dieu de Beaune
est parfaitement conservée. Elle se compose de trois montants, d'un
cercle de fer battu qui les réunit, et d'un pavillon à trois branches
droites, le tout décoré de tôles découpées. Cette armature est gravée
dans l'ouvrage de MM. Verdier et Cattais34, et il ne nous paraît pas nécessaire de la reproduire ici.
Dans la serrurerie, la simplicité des assemblages contribue beaucoup
à la solidité. Si l'on tourmente trop le fer, soit à la forge, soit
avec le burin, on le rend cassant, on lui enlève une partie de sa
force. Il importe donc de combiner les assemblages de ferronnerie en
laissant au fer son nerf. C'est au droit des assemblages que les
armatures de ferronnerie doivent présenter la plus grande résistance;
il n'y a donc pas à compliquer les façons sur ces points et à diminuer
les forces. Nous avons déjà présenté dans cet article, et dans
l'article Grille,
un certain nombre d'ouvrages assemblés qui constatent l'attention des
serruriers du moyen âge à laisser aux fers la plus grande résistance
possible aux points d'attache, de liaison; à éviter les
affaiblissements causés par les trous de boulons, ou par les passages
d'une barre dans une autre. En effet, les trous sont habituellement
renflés, les fers croisés sont coudés et non affamés; les rivures mêmes
sont faites dans les parties larges et là où le fer est pur. La lime et
nos moyens mécaniques, avec lesquels on arrive à couper le fer comme on
coupe du bois, ont fait introduire dans la ferronnerie un système
d'assemblages qui se rapproche beaucoup trop de celui de la menuiserie.
Cela produit peut-être des ouvrages d'une apparence plus nette, mais la
solidité y perd, et notre serrurerie se disloque facilement ou se brise
au droit des assemblages. La question est toujours une question de
forge, et si les assemblages que l'on fait aujourd'hui dans la
serrurerie sont trop souvent défectueux, c'est qu'on préfère recourir à
la mécanique plutôt que de façonner le fer au marteau et à bras d'homme.
Il serait trop long de donner dans cet article tous les assemblages
adoptés par les serruriers du moyen âge. Nous nous contentons d'en
présenter quelques-uns. Voici (fig. 54) des assemblages à trous
renflés. Les châssis de grille assemblés à tenons et goupilles ne
présentent aucune solidité; il est facile d'ailleurs de faire sortir
les tenons de leurs mortaises, en faisant sauter la goupille à l'aide
d'un poinçon. L'exemple A présente l'angle d'une grille de fenêtre en
saillie sur le nu du mur, ce que l'on nommait un cabaust35. La barre d'angle passe dans un trou renflé posé diagonalement en a, les traverses horizontales b
étant forgées d'un seul morceau avec leurs retours. L'exemple B donne
un fragment de rampe; tous les fers passent les uns dans les autres et
ont dû être posés ainsi. Les barres d'extrémités c, et celles intermédiaires de deux en deux c', ont été façonnées avec le trou renflé d, à travers lequel les tigettes e ont été passées et rivées. Les barres f ont été coulées dans la barre d'appui g; après quoi, les trous renflés h ont été façonnés entre chacune de ces barres f. Alors on a passé les extrémités des barres c c' par les trous h; ainsi les barres f ont été prendre leur place entre les brindilles e. On a passé les barres c et f par les trous renflés de la traverse basse i; on a rivé les extrémités des barres c, c', sur les rondelles k,
rapportées sur la barre d'appui; puis, pour terminer, on a posé les
bagues, qui sont simplement enroulées et non soudées. Le retour m, avec son œil renflé n,
forme poignée à chaque extrémité de la rampe, et fait l'office d'une
équerre, en arrêtant le roulement des barres verticales. Impossible de
désassembler une pareille grille, à moins d'arracher les scellements o et de couper les rivets. Le figuré C présente encore une grille saillante, un cabaust. En p, sont les scellements dans le mur. Le mentonnet q, formant corbeau, est lui-même scellé et sert de repos au talon r.
Les assemblages à trous renflés de cette grille sont trop simples
pour avoir besoin d'explications. En D, est une équerre de grille
ouvrante, avec sa fourchette détaillée en t36. On voit encore à Troyes une belle grille saillante de fenêtre ou de boutique, datant de la fin du XVe siècle; nous croyons nécessaire d'en donner quelques parties.
Ce cabaust a 2 mètres 10 centimètres de largeur, et se compose de
deux travées saillantes. Trois montants, deux d'angle et un d'axe,
séparent ces travées, composées chacune de quatre divisions de
brindilles enroulées, avec fleurons de fer battu. Deux montants en
retraite, scellés au mur par des agrafes, maintiennent tout le système.
La figure 55 montre les supports inférieurs de cette grille. Les
montants d'angle A, et ceux B appuyés à la muraille, sont réunis par la
console C. La traverse basse D passe derrière le montant A, ainsi qu'on
le voit en D' et A', sur un repos a; et la brindille G porte un
goujon qui, passant à travers les deux trous, est rivé en dehors sur
une rondelle et deux rosettes de fer battu. Les brindilles sont réunies
aux montants intermédiaires ou entre elles par des embrasses. Des tôles
gravées garnissent les montants et traverses, tant pour couvrir les
assemblages que pour donner à l'œil plus de corps à la grille. Les fers
d'angle ont 22 millimètres (voyez en E la section d'un de ces fers,
avec sa couverture de tôle). Les rosettes F' sont maintenues aux
brindilles au moyen d'un rivet passant par l'œil F. Chacune des
brindilles est donc d'une seule pièce et sans soudure (voyez en H).
L'arrangement des consoles C est à remarquer. Cette façon de donner
de la puissance au redent de la console, qui porte toute la charge de
la devanture de fer, par le bouton extrême et les quatre volutes, ne
manque ni d'adresse ni de grâce. C'est d'ailleurs le point de soudure
des deux montants A et B antérieur et postérieur. La décoration n'est
donc, ici encore, que la conséquence du procédé de fabrication. La
serrurerie française, jusqu'à la fin du XVIe siècle, ne se
départ pas de ce principe. Elle demeure ferronnerie, et ne cherche pas
à imiter des formes appartenant à d'autres branches de l'industrie du
bâtiment; on n'en peut dire autant de la serrurerie italienne.
Celle-ci, dès le XVe siècle, s'écarte des formes qui lui
appartiennent en propre, pour aller reproduire en miniature des ordres,
des entablements, des pilastres, des membres d'architecture antique qui
sont du ressort de la maçonnerie. C'est ainsi que l'on pensait faire un
retour vers l'antiquité; tandis que chez les Grecs, aussi bien que chez
les Romains, les objets de métal affectent les formes convenables à la
matière.
À notre tour, quand nous prétendions faire un retour vers
l'antiquité en nous appuyant sur les interprétations fausses dues aux
artistes italiens pendant la renaissance, nous ne faisions que
perpétuer ces erreurs, dont à peine aujourd'hui on cherche à revenir.
De l'autre côté du Rhin, on fabriqua de merveilleux ouvrages de serrurerie pendant les XVe et XVIe siècles. Les grilles du tombeau de Maximilien à Innsbruck, celles des cathédrales de Constance, de Munich, d'Augsbourg, qui datent du XVIe
siècle, sont de véritables chefs-d'œuvre, et mériteraient de figurer
dans une publication spéciale. Il faut reconnaître toutefois qu'il y a
dans ces ouvrages de ferronnerie une certaine exagération de formes,
des recherches dont on s'est abstenu en France pendant le moyen âge et
même pendant la renaissance. La serrurerie fine des châteaux de
Gaillon, d'Écouen, dont on conserve quelques fragments; la porte de fer
forgé et repoussé de la galerie d'Apollon au Louvre, sont des ouvrages
de la plus grande valeur, et qui nous font assez voir que l'industrie
moderne, sous ce rapport, malgré l'étendue de ses moyens, n'atteint
qu'exceptionnellement à cette perfection.