s. m. Tranchée longue, faite dans le sol pour opposer un obstacle
autour d'un camp, d'un château, d'une ville, d'un parc, d'un enclos. Il
y a des fossés secs et des fossés pleins d'eau, des fossés en talus ou
à fond de cuve, des fossés revêtus ou non revêtus.
Les fossés secs sont ceux qui sont taillés autour d'un château, d'un
manoir ou d'une place situés en des lieux trop élevés pour pouvoir y
amener et y conserver l'eau.
Les fossés pleins sont ceux dans lesquels on fait passer un cours
d'eau, ou que l'on inonde au moyen d'une prise dans la mer, dans un lac
ou un étang.
Les fossés en talus sont ceux simplement creusés dans un sol
inconsistant, et dont l'escarpe et la contrescarpe, revêtues de gazon,
donnent un angle de 45 degrés.
Les fossés revêtus sont ceux dont les parois, c'est-à-dire l'escarpe
et la contrescarpe, sont revêtues d'un mur en maçonnerie avec un faible
talus.
Les fossés à fond de cuve sont ceux dont le fond est plat, les
parois revêtues, et qui peuvent ainsi permettre d'ouvrir des jours dans
l'escarpe servant de soubassement à une fortification. Les fossés
taillés dans le roc peuvent être aussi à fond de cuve.
Les Romains creusaient des fossés autour de leurs camps temporaires
ou permanents. Ces fossés avaient habituellement quinze pieds
d'ouverture au bord supérieur, c'est-à-dire 4m, 95. Ils
étaient souvent doublés, séparés par un chemin de 4 à 5 mètres de
largeur. Quand César établit son camp en face des Bellovaques sur le
mont Saint-Pierre, dans la forêt de Compiègne,
«il fait élever un rempart de douze pieds avec parapet; il ordonne de
creuser en avant deux fossés de quinze pieds, à fond de cuve; il fait
élever un grand nombre de tours à trois étages, réunies par des ponts
et des chemins de ronde, dont le front était garni de mantelets
d'osier, de telle sorte que l'ennemi fût arrêté par un double fossé et
deux rangs de défenseurs: le premier rang sur les chemins de ronde
supérieurs d'où, étant plus élevés et mieux abrités, les soldats
lançaient des traits plus loin et plus sûrement; le second rang
derrière le parapet plus près de l'ennemi, où il se trouvait protégé
contre les traits par la galerie supérieure1.»
Les travaux de campagne que les Romains ont exécutés dans les Gaules
ont eu, sur l'art de la fortification chez nous, une telle influence
jusqu'à une époque très-avancée dans le moyen âge, et les fossés ont
été, dans les temps où les armes de jet avaient une faible portée, une
partie si importante de l'art de défendre les places, que nous devons
arrêter notre attention sur ce curieux passage. Il faut connaître
d'abord les lieux décrits ici par César.
L'assiette de son camp, les Commentaires à la main, avait été
évidemment choisie sur un plateau situé en face le mont Saint-Marc,
plateau désigné, dans les cartes anciennes, sous le nom de Saint-Pierre-en-Chastres2.
Ce plateau escarpé de tous côtés, offrant à son sommet une large
surface horizontale sur laquelle la petite armée que César conduisait
avec lui pouvait tenir fort à l'aise, se prêtait merveilleusement au
genre de défense qu'il avait adopté; défense dont on reconnaît
d'ailleurs la trace sur les lieux mêmes.
Voici donc (1) le profil de l'ouvrage de circonvallation. Les
assaillants ne pouvant arriver au bord du premier fossé A qu'en
gravissant une longue pente assez abrupte, étaient difficilement vus
par les défenseurs placés en B; à plus forte raison se trouvaient-ils
entièrement masqués pour les défenseurs postés le long du parapet C en
dedans du deuxième fossé G. Ces défenseurs postés en C étaient
cependant plus rapprochés de l'assaillant que ne l'étaient ceux postés
en E sur les galeries réunissant les tours à trois étages, la ligne CO
étant plus courte que la ligne EO. Des assaillants se présentant en K,
à portée de trait, ne pouvaient atteindre les défenseurs postés
derrière le parapet C, que s'ils envoyaient leurs projectiles en bombe
suivant une ligne parabolique KL. Donc les clayonnages du chemin de
ronde supérieur E protégeaient les soldats postés en C. César décrit
très-bien les avantages de ses ouvrages en disant que les soldats
placés en E voyaient l'ennemi de plus loin et pouvaient tirer sur lui
sûrement. L'assaillant, gravissant la pente P, ne voit que le sommet
des tours de bois et les galeries qui les réunissent; il n'a pas
connaissance des deux fossés qui vont l'arrêter en O. Pendant qu'il
gravit cette pente, il est exposé aux armes à longue portée de la
défense supérieure; mais dès qu'il atteint la crête O, non-seulement il
trouve deux obstacles devant lui s'il veut passer outre, mais il est
exposé aux traits qui partent du chemin de ronde E et du rempart C, ces
derniers traits pouvant être lancés directement, comme l'indique la
ligne CO, mais aussi, en bombe, comme l'indique la parabole HM. En
admettant que les troupes gravissant la pente K eussent été lancées,
pleines d'ardeur, arrivant haletantes en O, il leur eût été bien
difficile d'atteindre le vallum C. Cependant
César, au camp du Mont-Saint-Pierre, ne craignait pas une attaque
sérieuse des Bellovaques; au contraire, il cherchait à les attirer hors
de leurs propres défenses. Lorsqu'il redoutait réellement une attaque,
ses précautions étaient plus grandes encore. Autour d'Alesia,
il établit des lignes de contrevallation et de circonvallation afin de
bloquer l'armée de Vercingétorix renfermée dans cette ville, et de se
mettre en défense contre les secours considérables qui menacent son
camp. La ligne de contrevallation se compose: 1°, vers l'ennemi, d'un
fossé large de vingt pieds, profond d'autant, et à fond de cuve. À
quatre cents pieds en arrière de ce fossé, il établit ses
retranchements. Dans l'intervalle, il fait creuser deux fossés de
quinze pieds de large chacun et de quinze pieds de profondeur; le fossé
intérieur est rempli d'eau au moyen de dérivations de la rivière;
derrière ces fossés, il élève un rempart de douze pieds de haut, garni
de parapets avec meurtrières. À la jonction du parapet et du rempart,
il fait planter de forts palis fourchus pour empêcher l'escalade. Des
tours, distantes entre elles de quatre-vingts pieds, flanquent tout le
retranchement. Ces précautions, après quelques sorties des Gaulois, ne
lui semblent pas suffisantes: il fait planter des troncs d'arbres
ébranchés, écorcés et aiguisés, au fond d'une tranchée de cinq pieds de
profondeur; cinq rangs de ces pieux sont attachés entre eux par le bas,
de manière à ce qu'on ne puisse les arracher. Devant cet obstacle, il
fait creuser des trous de loup coniques de trois
pieds de profondeur, en quinconce, au fond desquels on enfonce des
pieux durcis au feu et aiguisés qui ne sortent de terre que de quatre
doigts; ces pieux sont fixés solidement en foulant le sol autour d'eux;
des ronces les cachent aux regards. Les trous de loup sont disposés sur
huit rangs, distants l'un de l'autre de trois pieds (2). En avant sont
fixés, très-rapprochés les uns des autres, des aiguillons, stimuli (3), d'un pied de long, armés de broches en fer. Dans un mémoire sur le blocus d'Alésia3, M. le capitaine du génie Prévost nous paraît avoir parfaitement compris comment étaient façonnés les stimuli
dont parle César. Parmi les objets antiques trouvés près d'Alise, dit
le savant officier, on remarque des broches en fer, qui ont résolu pour
lui la question des stimuli. Ces morceaux de fer ont 0,29 c. et
un peu plus, c'est-à-dire qu'ils ont un pied romain; leur équarrissage
au milieu est de 0,01 c.; ils sont cintrés en côte de vache et appointés par les deux bouts. «Tous les auteurs, ajoute M. Prévost, qui ont parlé des stimuli
de César, ont cru qu'ils consistaient en un rondin de bois enfoncé en
terre, avec une pointe en fer encastrée elle-même dans le piquet et
surgissant au-dessus du sol. Quelque simple que soit cet objet, il est
encore difficile à exécuter: on aurait fendu bien des rondins, en
essayant d'y introduire de force une tige de fer; il aurait fallu
ensuite appointer cette dernière en la limant à froid, ce qui eût
demandé beaucoup de temps» (puis fallait-il avoir des limes); «on eût
été obligé de frapper avec précaution sur la tête du piquet en bois
pour l'enfoncer en terre sans risquer de le fendre. Toutes ces minuties
sont très-appréciées de ceux qui ont l'occasion de faire exécuter
rapidement de petits objets en nombre immense par les premiers
individus venus4.
Rien n'est plus facile avec les broches trouvées à Alise: quelques
forgerons les fabriquaient; ils faisaient aussi les petits crampons A,
pareils à ceux avec lesquels nous attachons nos conducteurs sur les
mandrins de bourrage des fourneaux de mine. On fixait à l'aide de deux
de ces crampons la broche sur la paroi d'un rondin ayant un pied de
long. Maintenu en C et en D, le fer ne pouvait glisser le long du bois
dans aucun sens, puisqu'il avait son plus fort équarrissage au
milieu...» et une courbure qui le forçait de se serrer fortement contre
le bois. «Peut-être mettait-on deux ou trois broches pareilles autour
du même piquet; dans ce dernier cas, il fallait, pour l'enfoncer en
terre, frapper sur sa tête par l'intermédiaire d'un rondin recevant les
coups de la masse; alors l'engin représentait encore mieux le hamus du texte latin.»
De leur côté, les Gaulois, du temps de César, entouraient leurs
camps et places fortes de fossés creusés en terre ou même dans le roc;
ces derniers étaient à parois verticales avec rempart intérieur. C'est
ainsi que sont disposées les défenses de l'oppidum gaulois que l'on voit encore à l'extrémité occidentale du mont Ganelon, près Compiègne.
Les fossés de cette place ont dix mètres de largeur sur une profondeur
de trois à quatre mètres, sont séparés l'un de l'autre par un espace de
quinze mètres environ; un vallum de cinq mètres de hauteur est
élevé en arrière du second fossé. De gros quartiers de rochers sont
laissés au fond de ces fossés comme obstacles.
Les fossés des villes gallo-romaines, au moment de l'invasion des
barbares, tels que ceux de Sens, de Bourges, de Beauvais, étaient
très-larges, et autant que possible remplis d'eau5.
Les Gaulois avaient d'ailleurs adopté les moyens de défense que les
Romains employaient contre eux, ainsi que le constate César lui-même;
ces moyens, ils durent les conserver longtemps. Dans le Roman de Rou, il est question de fossés disposés d'une façon nouvelle, et qui aurait été souvent adoptée au XIe siècle.
«Par tuz li champs ki prof esteint
Par ù Bretuns venir debveient,
Firent fosses parfunt chavées (creusés profondément),
Desuz estreites, dedenz lées (larges):
La terre ke il fors unt gelée (qu'ils ont jetée dehors)
Unt tute as altres camps portée;
De virges et d'erbes k'il coillirent,
Li fosses tutes recuvrirent.
Quant Bretun vindrent chevalchant,
Prez de férir, paeenz quérant (cherchant les païens);
Par li camps vindrent tresbuchant,
D'un fossé en altre chéant;
Chaent asdenz, chaent envers,
Chaent sor coste è de travers6.»
Comment avait-on pu creuser des fossés plus larges au fond qu'à la
crête? C'est ce qu'il est difficile d'expliquer, à moins de supposer
qu'on ait étançonné les parois. Nous voyons que ces fossés sont
recouverts de broussailles et d'herbe pour dissimuler leur ouverture.
Les Normands entourèrent leurs fortifications de fossés très-larges
et très-profonds, quelquefois avec chemin couvert palissadé au-dessus
de la crête extérieure. Les châteaux d'Arques et de Tancarville, et
plus tard le château Gaillard, conservent encore leurs fossés taillés
dans le roc au sommet de l'escarpement qui sert d'assiette à ces
forteresses (voy. Château).
Des souterrains également creusés dans le roc conduisent de l'intérieur
des châteaux au fond des fossés; ils servaient surtout à permettre à la
garnison de sortir pour attaquer les mineurs qu'on attachait aux bases
des remparts et tours ou aux escarpements qui les portaient.
Nous n'avons pas vu de contrescarpes revêtues avant le XIIIe
siècle, tandis qu'à dater de cette époque les fossés sont presque
toujours revêtus autour des forteresses importantes, et leur fond dallé
même autour des châteaux bâtis avec soin. Le fossé du donjon de Coucy (commencement du XIIIe siècle) est dallé; le grand fossé devant la porte du château de Pierrefonds (commencement du XVe siècle) l'est également. À la cité de Carcassonne, il reste des fragments considérables de revêtements de contrescarpes des fossés du côté de l'est (fin du XIIIe siècle). La contrescarpe du large fossé qui sépare le château de Coucy de sa baille était revêtue (commencement du XIIIe siècle). Les fossés du château de Vincennes ont été revêtus depuis la reconstruction de ce château pendant le XIVe siècle; ceux du Louvre l'ont été depuis Charles V7.
Non-seulement les châteaux, les villes étaient entourées de fossés,
mais aussi les abbayes situées hors des villes et même quelquefois les
églises paroissiales.
Lorsque l'artillerie fut employée pour assiéger les places, on
élargit encore les fossés, et l'on pensa surtout à disposer des
défenses pour les enfiler, des chemins couverts pour protéger leurs
approches, des ouvrages bas pour obtenir un tir rasant au niveau du
fond, des cunettes pour conduire les eaux pluviales, des écluses et
retenues pour les inonder quand des cours d'eau ou des étangs voisins
le permettaient (voy. Architecture Militaire, bastille, Bastion, Boulevard, Château, Porte , Siége).
C'était au seigneur suzerain à régler l'étendue et la largeur des
fossés, c'était lui qui dans certains cas exigeait qu'on les comblât.
Quant à leur entretien, il était à la charge du seigneur ou à la charge
des vassaux par suite de conventions spéciales. Nous trouvons dans un
recueil très-curieux publié par M. A. Champollion-Figeac8
la traduction d'un texte en langage gascon qui a pour titre: «Ayssi es
la ordonnansa cum una viela se deu fermar et armar contra son enamixs9.» Dans ce texte, les passages relatifs aux fossés de défense sont à noter.
«La manière de la fermeure de la ville: Premièrement, il y
doit avoir tout à l'entour des grans, larges et profonds fossés, si
profonds qu'il y sorte de l'eau; et es endroits où il ne peut point
avoir de l'eau, doit estre fait au fonds des fossés grande quantité de vosias10,
couvertes avec muraille de terre et d'herbe; et après, y doit avoir de
grands et hauts murs, avec tours de défense de dix en dix brasses
(environ 16 mètres), et que les fossés soient bien netoyés et curés, du
pied du mur jusqu'au fond, d'herbes et de branchages. Et aux portails
et entrées, il y doit avoir des ponts-levis, et tous les chemins des
entrées doivent être rompus en travers, de grands fossés en cinq ou six
lieux. fors un petit et estroit passage, lequel on doit rompre quand
besoing est, afin qu'on ne se puisse point approcher des portes, à pied
ni à cheval, ni amener du feu en carexs (charrette), ni en autre chose, et faire grande quantité de vosias par les chemins des entrées...11»
Nous avons souvent trouvé des traces de ces coupures faites en
travers des routes aboutissant aux portes. Ces coupures étaient garnies
de barrières, et comme les routes longeaient presque toujours les
fossés, afin d'être battues de flanc par les tours et courtines, les
coupures donnaient dans le fossé de ceinture, afin de ne pouvoir servir
de refuge aux assiégeants; mais ces détails sont expliqués à l'article Porte .
Les petites villes ou bastides bâties dans la seconde moitié du XIIIe
siècle en Guienne sont entourées de fossés avec enceinte; la plupart de
ces petites cités sont, ainsi que leurs défenses, d'une régularité
parfaite12. À propos de la bastide de Sauveterre, M. Leo Drouyn, dans l'excellent ouvrage qu'il publie sur la Guienne militaire, donne le texte des privilèges accordés à cette commune, en 1283, par Édouard Ier. Dans ce texte latin13, nous lisons l'article suivant relatif aux enceintes et fossés:
«Item nous voulons que soldats et maîtres, bourgeois ou habitants de
ladite ville, soient exempts de tous les travaux communaux (communibus), excepté ceux des ponts, des puits, des routes et clôtures
de la ville, travaux auxquels les voisins du lieu sont tenus, sans
aucun doute de coopérer. Pour nous, nous sommes tenus de faire la
première clôture de la ville, et lesdits soldats et maîtres
doivent veiller de jour et de nuit pendant l'exécution du travail; les
autres voisins sont, à leur tour, responsables des maléfices qui se
commettront de jour et de nuit...» Ainsi les clôtures, c'est-à-dire les
fossés et remparts, étaient faits par le seigneur, sous la surveillance
de la commune, autour de ces bastides ou bourgs fondés par privilège
spécial du suzerain. Les seigneurs féodaux réclamaient contre
l'établissement de ces petites communes, les évêques excommuniaient et
les fondateurs et les habitants; mais ces réclamations et
excommunications n'empêchaient pas les villes de s'élever.
Les murailles d'Avignon,
commencées en 1349 et terminées en 1374, étaient entourées de fossés de
vingt mètres de largeur environ sur une profondeur moyenne de quatre
mètres au -dessous de la crête de la contrescarpe. Cette contrescarpe
n'était pas entièrement revêtue; mais, pour éviter les affouillements
causés par les inondations du Rhône, on avait dallé le fond du fossé en
larges pierres de taille14. Le Rhône, la Sorgue et un bras de la Durance remplissaient en temps ordinaire une grande partie de ces fossés.